Je me trouve depuis plusieurs heures dans ce quartier londonien où les partisans du « Remain » s’étaient donné rendez-vous. L’ambiance est passée de l’espoir à la stupéfaction. Le référendum britannique du 23 juin 2016 vient de livrer son verdict : les Britanniques ont choisi de quitter l’Union européenne à 51,9% des voix, avec une participation impressionnante de 72,2%. Ce matin, c’est un véritable séisme politique qui secoue l’Europe entière. Pour la première fois en 60 ans de construction européenne, un pays membre décide de claquer la porte. Dans ce contexte bouleversé, la présidente du Front National, Marine Le Pen, n’a pas tardé à réagir en réclamant un référendum similaire pour la France. Cette décision historique provoque déjà une onde de choc chez tous les dirigeants européens, particulièrement dans les rangs des mouvements eurosceptiques qui y voient un précédent encourageant.
Les conséquences du Brexit sur la scène européenne
Les premières répercussions économiques ne se sont pas fait attendre. J’observe depuis l’ouverture des marchés financiers ce matin une chute vertigineuse : les Bourses de Paris et Francfort ont plongé d’environ 10%. La livre sterling s’effondre face aux autres devises, contraignant la Banque d’Angleterre à annoncer qu’elle se tient prête à injecter 250 milliards de livres (326 milliards d’euros) pour stabiliser la situation. Cette secousse monétaire risque d’affecter durablement la croissance britannique et européenne.
Sur le plan politique, David Cameron a annoncé sa démission ce matin lors d’une allocution sobre et émue devant le 10 Downing Street. Le Premier ministre, fervent défenseur du maintien dans l’UE, restera en revanche en fonction jusqu’à l’automne pour assurer la transition. Les regards se tournent désormais vers Boris Johnson, ex-maire de Londres et figure emblématique du camp pro-Brexit, pressenti pour prendre sa succession à la tête du parti conservateur et du gouvernement.
L’Union européenne face à l’inconnu
Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, avait prévenu que le Royaume-Uni devrait accepter d’être considéré comme un État tiers et que « dehors c’est dehors ». Un processus de sortie complexe s’annonce, pouvant s’étendre sur deux années de négociations tendues. Durant cette période, le pays reste soumis aux accords existants tandis que se dessinent les contours de sa future relation avec le marché unique européen.
La grande inquiétude des chancelleries européennes concerne désormais l’effet domino que pourrait provoquer ce précédent. Des mouvements eurosceptiques en Pologne, en Hongrie et dans d’autres pays membres pourraient s’enhardir et réclamer des consultations similaires, fragilisant davantage l’édifice communautaire déjà ébranlé par les crises successives.
Marine Le Pen et l’opportunité politique du « Frexit »
À peine les résultats britanniques connus, Marine Le Pen s’est empressée de saluer ce qu’elle qualifie de « victoire de la liberté ». Sur son compte Twitter puis dans une déclaration que j’ai pu recueillir, la présidente du Front National exige l’organisation d’un référendum sur l’appartenance de la France à l’Union européenne. « Les Français doivent avoir le même droit que les Britanniques de choisir leur destin », martèle-t-elle, voyant dans ce vote historique la confirmation de son discours eurosceptique de longue date.
Cette position s’inscrit dans un mouvement plus large de contestation du projet européen. Aux Pays-Bas, Geert Wilders, député d’extrême droite néerlandais, a immédiatement emboîté le pas en réclamant une consultation populaire similaire. Ces revendications surviennent dans un contexte où l’Europe fait face à de multiples défis : crise des réfugiés, menace terroriste et difficultés économiques persistantes.
Un contexte français particulier
La demande de référendum intervient alors que la France traverse une période sociale tendue avec les controverses autour de la loi travail et les manifestations qui mobilisent syndicats et jeunesse. Les sondages récents montrent une défiance croissante des Français envers les institutions européennes, même si l’hypothèse d’un « Frexit » reste minoritaire dans l’opinion. Le parti social-démocrate français, comme d’autres formations traditionnelles, se retrouve pris entre le marteau des eurosceptiques et l’enclume d’une opinion publique désenchantée.
L’argumentaire développé par Marine Le Pen repose sur la reconquête d’une indépendance nationale face aux directives bruxelloises, notamment concernant la gestion des flux migratoires et la politique monétaire. Cette stratégie vise clairement à capitaliser sur les inquiétudes d’une partie de l’électorat français à l’approche des échéances électorales de 2017.
Un Royaume-Uni divisé face aux défis de l’après-Brexit
La cartographie du vote révèle un Royaume-Uni profondément fracturé. J’ai pu constater en analysant les résultats région par région que Londres, l’Écosse et l’Irlande du Nord ont majoritairement choisi de rester dans l’UE, tandis que le nord de l’Angleterre et le Pays de Galles ont massivement voté pour la sortie. Ces divisions territoriales font craindre pour l’intégrité même du royaume.
Nicola Sturgeon, Première ministre écossaise, a d’ailleurs déclaré que sa région « voit son avenir au sein de l’UE », ouvrant la porte à un nouveau référendum sur l’indépendance de l’Écosse. En Irlande du Nord, le Sinn Fein a appelé à une consultation sur une Irlande unifiée. Cette séparation tragique d’avec l’Union européenne pourrait ainsi entraîner d’autres séparations internes au Royaume-Uni.
L’héritage troublé de David Cameron
Ce référendum, promis par David Cameron en janvier 2013, visait initialement à apaiser les tensions au sein du parti conservateur britannique, où les eurosceptiques sont nombreux et influents. La stratégie s’est retournée contre son initiateur de façon spectaculaire. Nigel Farage, leader de l’UKIP, n’a pas manqué de célébrer sa victoire avec un message triomphal : « We’ve got our country back. Thanks to all of you. #IndependenceDay ».
Sur le plan économique, les défis s’annoncent considérables. Le FMI prévoit un risque de récession tandis que des milliers d’emplois dans la City londonienne pourraient être menacés si les banques et institutions financières décident de relocaliser leurs activités vers d’autres capitales européennes. Les partisans du Brexit avaient fait campagne sur la promesse d’arrêter l’immigration en provenance de l’UE et de rediriger les contributions britanniques au budget européen vers des priorités nationales comme le système de santé.
Face à ce paysage incertain, le professeur Iain Begg de la London School of Economics m’a confié que « c’est le côté émotionnel qui l’a emporté » sur les arguments économiques rationnels. Un constat qui pourrait s’appliquer à d’autres pays européens si d’autres référendums venaient à être organisés, comme le réclame désormais Marine Le Pen pour la France.
Analyste politique rigoureux, Thomas décrypte les mécanismes du pouvoir et les décisions publiques avec clarté et esprit critique. Son credo : rendre lisible ce qui est volontairement complexe. Amateur de romans noirs et de débats de fond.