Brexit : l’avenir de l’UE et les conséquences pour l’Europe

Je me souviens encore de ce matin du 24 juin 2016. La nouvelle était tombée pendant la nuit : le Royaume-Uni avait voté en faveur du Brexit. Après des mois d’enquêtes sur les coulisses de cette campagne référendaire, ce résultat, bien qu’anticipé par certains analystes, créait une onde de choc dans les institutions européennes. Six ans après ces événements, il est temps de dresser un bilan approfondi des conséquences de cette décision historique, tant pour l’Union européenne que pour l’avenir du projet européen dans son ensemble.

Les mécanismes institutionnels mis à l’épreuve par le Brexit

L’activation de l’article 50 du Traité de Lisbonne par Theresa May en mars 2017 a plongé Bruxelles dans une situation inédite. Je me suis penché sur les archives des négociations et il apparaît clairement que les institutions européennes ont dû improviser face à un scénario pour lequel elles n’étaient pas préparées. Les mécanismes de sortie, bien qu’existants sur le papier, n’avaient jamais été testés. Michel Barnier, nommé négociateur en chef pour l’UE, a dû élaborer une méthodologie nouvelle pour ces pourparlers sans précédent.

La Commission européenne, sous la présidence de Jean-Claude Juncker puis d’Ursula von der Leyen, a maintenu une position relativement unifiée face aux tergiversations britanniques. Cette cohésion institutionnelle, que peu d’observateurs anticipaient, mérite d’être soulignée. Mes entretiens avec des fonctionnaires européens révèlent que l’expérience du Brexit a paradoxalement renforcé la machinerie administrative communautaire, contrainte de se réinventer sous la pression.

L’aspect le plus révélateur concerne le Parlement européen et son rôle dans l’approbation finale de l’accord de retrait. Cette assemblée, souvent décrite comme un simple organe d’enregistrement, a démontré sa capacité à peser dans les négociations. Le coordinateur du Parlement, Guy Verhofstadt, a utilisé efficacement cette crise pour valoriser l’institution qu’il représentait. Les commissions parlementaires ont réalisé un travail d’analyse critique des propositions britanniques, démontrant ainsi la valeur ajoutée d’un contrôle démocratique supranational.

Le Conseil européen, forum des chefs d’État et de gouvernement, a quant à lui maintenu une unité remarquable, contrairement aux craintes initiales d’une fragmentation des positions nationales. Cette solidarité, mise à l’épreuve pendant près de quatre années de négociations tendues, constitue un précédent important pour la gestion future des crises au sein de l’Union.

Réalignements géopolitiques et redéfinition des alliances

Au-delà des aspects techniques, le Brexit a provoqué un bouleversement profond des équilibres politiques au sein de l’UE. L’analyse des votes au Conseil depuis 2020 révèle clairement l’émergence de nouvelles coalitions. L’axe franco-allemand, pilier historique de la construction européenne, s’est retrouvé renforcé par défaut, mais également contesté par de nouvelles alliances régionales.

Les pays nordiques (Danemark, Suède, Finlande), traditionnellement alignés avec Londres sur les questions de libre-échange et de dérégulation, ont dû repenser leur positionnement stratégique. Mes recherches dans les archives des délibérations du Conseil montrent une réorientation progressive de leurs positions, notamment sur les questions budgétaires et environnementales.

Pour la France, le départ britannique a offert l’opportunité de promouvoir une intégration plus approfondie en matière de défense européenne. Le projet d’Initiative européenne d’intervention, lancé par Emmanuel Macron en 2018, illustre cette dynamique. Sans l’opposition systématique de Londres aux initiatives militaires communes, les discussions sur l’autonomie stratégique européenne ont progressé significativement.

L’Irlande, particulièrement exposée aux conséquences du Brexit en raison de sa frontière terrestre avec le Royaume-Uni, a dû renforcer ses alliances continentales. Dublin est ainsi devenue un partenaire plus actif dans les coalitions méditerranéennes et baltiques, diversifiant ses soutiens diplomatiques au-delà de son ancienne relation privilégiée avec Londres.

Le groupe de Visegrád (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) a également tenté d’exploiter ce réalignement pour renforcer son influence. Toutefois, les divisions internes à ce groupe et leur positionnement parfois contradictoire sur les questions d’État de droit ont limité leur capacité à constituer un contrepoids crédible à l’axe franco-allemand.

L’héritage du Brexit pour l’avenir du projet européen

Le paradoxe le plus frappant de ces dernières années réside dans la résilience inattendue du projet communautaire face à ce qui était perçu comme une menace existentielle. Les enquêtes d’opinion que j’ai pu analyser montrent que le spectacle des difficultés britanniques post-Brexit a considérablement refroidi les ardeurs eurosceptiques dans plusieurs États membres.

La crise sanitaire a également joué un rôle dans cette évolution. L’achat groupé de vaccins, malgré ses difficultés initiales, et surtout le plan de relance NextGenerationEU, représentent des avancées en matière de solidarité financière qui auraient été difficilement envisageables avec le Royaume-Uni à la table des négociations.

Les documents internes des institutions européennes révèlent une réflexion profonde sur l’identité même du projet européen. La « Conférence sur l’avenir de l’Europe », bien que modeste dans ses conclusions, témoigne d’une volonté de repenser le rapport aux citoyens et d’examiner de nouvelles voies d’intégration.

La question qui demeure ouverte est celle de la différenciation. L’Europe à plusieurs vitesses, longtemps considérée comme un pis-aller, apparaît désormais comme une voie pragmatique pour permettre aux États membres volontaires d’approfondir leur coopération sans attendre l’unanimité. Le Brexit pourrait ainsi paradoxalement accélérer l’émergence d’un noyau dur européen, plus intégré politiquement et économiquement.

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