Correspondances inédites entre Bernanos et Brasillach : une page méconnue de l’histoire littéraire

J’ai récemment mis la main sur un dossier attirant qui éclaire d’un jour nouveau les relations entre deux figures majeures de la littérature française du XXe siècle. La découverte de correspondances inédites entre Georges Bernanos et Robert Brasillach constitue une véritable pépite pour les historiens de la littérature et les passionnés de cette période troublée. Ces échanges épistolaires, longtemps restés dans l’ombre, révèlent des aspects méconnus de la pensée de ces deux écrivains que tout semblait opposer.

Deux destinées littéraires que l’histoire a séparées

Georges Bernanos (1888-1948) et Robert Brasillach (1909-1945) représentent deux trajectoires singulières dans le paysage intellectuel français de l’entre-deux-guerres. Le premier, fervent catholique et monarchiste dans sa jeunesse, s’est progressivement orienté vers une critique acerbe du fascisme. Le second, brillant normalien, a embrassé les idées de l’extrême droite pour finir par collaborer activement pendant l’Occupation, ce qui lui vaudra d’être fusillé à la Libération.

Ce qui rend ces correspondances particulièrement précieuses, c’est qu’elles révèlent une relation complexe, faite d’admiration mutuelle sur le plan littéraire et de profonds désaccords idéologiques. Dans une lettre datée de 1938, Bernanos écrit à Brasillach : « Votre plume a le don rare de toucher l’âme, même quand vos idées heurtent ma conscience. » Ce respect pour le talent d’écriture transcendait visiblement les clivages politiques qui se creusaient alors dans la société française.

Ces échanges mettent en lumière une période où les intellectuels français se déchiraient face à la montée des totalitarismes. J’y perçois les prémices des fractures qui allaient diviser durablement notre paysage culturel et politique, des fractures dont certaines résonnent encore aujourd’hui, comme on peut le constater dans les débats sur la mémoire coloniale et les insultes aux pieds-noirs qui surgissent régulièrement dans notre espace public.

Une relation épistolaire révélatrice des tensions de l’époque

Les lettres échangées entre 1936 et 1940 constituent le cœur de cette correspondance. Elles coïncident avec une période particulièrement tourmentée : Front populaire, guerre d’Espagne, accords de Munich, début de la Seconde Guerre mondiale. À travers leurs écrits, on perçoit comment ces événements ont creusé le fossé entre les deux hommes.

Bernanos, qui vivait alors au Brésil, y développe sa critique du régime franquiste après avoir été témoin des exactions commises au nom de la cause nationaliste. Dans une lettre particulièrement poignante datée de février 1938, il confie à Brasillach : « Ce que j’ai vu en Espagne m’a définitivement ouvert les yeux sur la nature profonde du fascisme, cette mystique de la force qui corrompt tout ce qu’elle touche, y compris la foi que je chéris. » Cette évolution marque un tournant dans sa pensée politique, qui trouvera son expression la plus aboutie dans « Les Grands Cimetières sous la lune ».

Brasillach, de son côté, maintient son engagement à droite et développe une fascination croissante pour les régimes autoritaires. Ses réponses témoignent d’un entêtement idéologique qui contraste avec les doutes grandissants de son interlocuteur. Il écrit notamment : « Vous faites fausse route, cher Bernanos. L’ordre nouveau qui se dessine en Europe offre enfin une alternative au matérialisme bourgeois et à la menace communiste. » Cette conviction le conduira à des positions de plus en plus radicales durant l’Occupation.

Étant journaliste habitué à décrypter les coulisses du pouvoir, je suis frappé par la lucidité dont fait preuve Bernanos dans sa dernière lettre connue adressée à Brasillach en mai 1940, juste avant la défaite française : « La France que nous aimons tous deux risque de payer chèrement les illusions des uns et les lâchetés des autres. Prenez garde à ne pas devenir l’instrument de ce que vous croyez combattre. » Cette mise en garde prophétique restera sans effet.

L’héritage intellectuel d’une correspondance oubliée

Ces documents nous permettent de mieux comprendre les dilemmes moraux et intellectuels auxquels furent confrontés les écrivains français face aux bouleversements de leur époque. Ils éclairent d’un jour nouveau la trajectoire de ces deux hommes que l’histoire a séparés mais dont les œuvres continuent de dialoguer par-delà leurs divergences.

L’intérêt de ces lettres dépasse largement le cadre de l’histoire littéraire. Elles nous interrogent sur la responsabilité des intellectuels en temps de crise, sur les limites de l’engagement politique et sur la possibilité de maintenir un dialogue par-delà les fractures idéologiques. Des questions qui, loin d’être obsolètes, résonnent avec une actualité troublante.

Dans ma pratique du journalisme politique, je suis souvent confronté à des clivages qui semblent insurmontables. Ces correspondances nous rappellent que même aux heures les plus sombres de notre histoire, certains ont tenté de préserver un espace de dialogue exigeant, sans renoncer à leurs convictions. Une leçon qui mériterait d’être méditée à l’heure où notre espace public se fragmente en bulles idéologiques étanches.

La publication intégrale de ces correspondances entre Bernanos et Brasillach est prévue pour l’automne prochain aux éditions Gallimard. Elle promet d’enrichir considérablement notre compréhension de cette période cruciale et de rappeler que l’histoire intellectuelle française ne se résume pas à des oppositions simplistes. Elle nous invite à une lecture plus nuancée de ces trajectoires d’écrivains qui, chacun à leur manière, ont tenté de rester fidèles à leur vocation littéraire dans la tourmente de l’histoire.

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