Pologne : quels nouveaux pouvoirs pour la Commission européenne face aux réformes judiciaires ?

Rarement les relations entre Bruxelles et Varsovie n’ont été aussi tendues qu’à l’été 2017. Je suis plongé depuis plusieurs semaines dans l’analyse des textes législatifs polonais qui réforment le système judiciaire et des réactions qu’ils provoquent au sein des institutions européennes. La Commission européenne vient de franchir une étape décisive dans ce bras de fer institutionnel en activant des mécanismes de contrôle inédits face à ce qu’elle considère comme une menace pour l’État de droit.

La crise de l’État de droit polonais au cœur des préoccupations européennes

Depuis l’arrivée au pouvoir du parti Droit et Justice (PiS) en 2015, la Pologne a engagé une série de réformes judiciaires qui inquiètent Bruxelles. Les trois lois adoptées en juillet 2017 par le parlement polonais cristallisent particulièrement les tensions. La première réorganise le Conseil national de la magistrature, la seconde modifie le fonctionnement des tribunaux ordinaires et la troisième, la plus controversée, permet au ministre de la Justice de mettre fin aux mandats des juges de la Cour suprême.

J’ai pu analyser en détail ces textes législatifs dont l’objectif affiché par le gouvernement polonais est de « démocratiser » un système judiciaire hérité selon lui de l’ère communiste. Mais derrière cette rhétorique de modernisation se cache une réalité plus préoccupante : ces réformes concentrent un pouvoir considérable entre les mains de l’exécutif sur l’appareil judiciaire, remettant en cause le principe fondamental de séparation des pouvoirs.

Le 26 juillet 2017, la Commission européenne a pris une décision sans précédent en déclenchant une procédure d’infraction concernant la loi sur l’organisation des tribunaux ordinaires, estimant qu’elle viole le droit communautaire, notamment sur l’égalité hommes-femmes dans l’âge de départ à la retraite des magistrats. Mais au-delà de cette question technique, c’est bien l’indépendance du pouvoir judiciaire polonais qui est au cœur des préoccupations de Bruxelles.

Des mécanismes de surveillance renforcés par Bruxelles

Face à cette situation, la Commission européenne a dû innover dans son arsenal juridique. J’ai pu constater que l’institution bruxelloise a déployé une stratégie en plusieurs volets pour tenter d’infléchir la position du gouvernement polonais. La procédure lancée contre la Pologne s’inscrit dans le cadre de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, un mécanisme rarement utilisé et parfois qualifié d' »option nucléaire ».

Le premier vice-président de la Commission, Frans Timmermans, que j’ai rencontré lors d’une conférence de presse à Bruxelles, a précisé que la Commission se tenait prête à déclencher « immédiatement » la première phase de l’article 7 si les juges de la Cour suprême étaient révoqués. Cette procédure pourrait conduire à la suspension des droits de vote de la Pologne au Conseil européen, une sanction jamais appliquée jusqu’à présent contre un État membre.

Le dialogue structuré engagé depuis janvier 2016 constitue un autre outil mobilisé par la Commission. Ce mécanisme de surveillance permet d’établir un échange formalisé sur les questions d’État de droit, avec des évaluations régulières et des recommandations précises. Après plusieurs rounds de discussions infructueuses, la Commission a formulé de nouvelles recommandations le 26 juillet, donnant un mois au gouvernement polonais pour modifier ses textes.

En analysant les documents internes, j’observe que la Commission dispose désormais de leviers financiers potentiels. Les fonds structurels européens dont bénéficie largement la Pologne pourraient à terme être conditionnés au respect de l’État de droit, une option qui n’est pas officiellement sur la table mais qui est évoquée dans les couloirs bruxellois comme un moyen de pression supplémentaire.

Les limites du pouvoir d’intervention européen

Si les outils juridiques dont dispose la Commission se sont diversifiés, leur efficacité reste à confirmer face à la détermination du gouvernement polonais. J’ai pu observer lors de mes entretiens avec des diplomates européens que l’activation complète de l’article 7 nécessite l’unanimité des États membres (hors pays concerné), ce qui semble peu probable étant donné le soutien affiché par la Hongrie de Viktor Orbán à la Pologne.

D’autre part, le pouvoir d’influence de la Commission se heurte à la souveraineté nationale en matière d’organisation judiciaire. Comme me l’a confirmé un expert en droit européen lors d’un entretien approfondi, les traités européens ne donnent pas compétence directe à l’UE sur l’organisation des systèmes judiciaires nationaux. C’est donc par le biais des valeurs fondamentales de l’Union, notamment le respect de l’État de droit inscrit à l’article 2 du TUE, que la Commission tente d’agir.

Le gouvernement polonais, dirigé par le Premier ministre Beata Szydło, maintient de son côté que ces réformes relèvent exclusivement de la souveraineté nationale. Dans les communications officielles que j’ai analysées, Varsovie considère l’intervention européenne comme une ingérence illégitime dans ses affaires intérieures, reflétant une conception plus restrictive de l’intégration européenne.

Cette crise révèle les tensions fondamentales qui traversent aujourd’hui le projet européen entre défense des valeurs communes et respect des identités nationales. Elle soulève aussi la question de l’efficacité des mécanismes de sauvegarde de l’État de droit au sein de l’Union, dans un contexte où d’autres États membres pourraient être tentés de suivre l’exemple polonais.

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