Entretien avec Cécile Edel du MRJC : un regard étranger à l’anthropologie chrétienne

J’ai rencontré Cécile Edel, secrétaire générale du Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne (MRJC), dans un café parisien proche de leur siège social. Notre entretien intervient quelques semaines après la polémique suscitée par les positions du mouvement sur plusieurs sujets sensibles. Rarement un entretien m’aura autant interpellé sur la dérive idéologique d’une organisation se réclamant de l’Église.

Le MRJC et sa vision contestée de la famille

Dès les premières minutes de notre échange, Cécile Edel affirme sans détour que « le MRJC défend une vision plurielle des modèles familiaux ». Une position qui tranche singulièrement avec le magistère catholique traditionnel. « Nous estimons que la famille n’est pas un modèle figé, mais une réalité diverse qui évolue avec la société », poursuit-elle avec assurance.

Cette approche relativiste de la cellule familiale n’est pas sans soulever des interrogations fondamentales. L’anthropologie chrétienne repose pourtant sur des principes clairs concernant la famille, basée sur l’union d’un homme et d’une femme. Lorsque je la questionne sur cette apparente contradiction, Mme Edel évoque « une lecture actualisée des textes » qui permettrait selon elle d’accommoder les évolutions sociétales contemporaines.

Ce qui frappe dans son discours, c’est l’absence quasi-totale de référence aux fondements doctrinaux de l’Église. Le MRJC semble avoir substitué à l’enseignement bimillénaire de l’Église une grille de lecture purement sociologique. « Notre mouvement est ancré dans les réalités de terrain. Les jeunes ruraux que nous accompagnons vivent des situations familiales diverses », justifie-t-elle.

Lorsque j’évoque les récentes prises de position publiques du mouvement en faveur de l’avortement, sujet sur lequel l’Église a toujours maintenu une position claire et non-négociable, mon interlocutrice se contente de répondre que « les jeunes femmes doivent pouvoir disposer de leur corps ». Une formulation qui emprunte davantage au lexique féministe radical qu’à la tradition chrétienne pour laquelle la vie humaine reste sacrée dès la conception.

Une déconnexion manifeste avec la doctrine sociale de l’Église

Au fil de notre conversation, j’observe que les réponses de Cécile Edel évitent systématiquement les références aux enseignements pontificaux ou aux positions officielles de la Conférence des évêques de France. Cette absence révèle une rupture profonde avec l’héritage intellectuel et spirituel dont le MRJC prétend pourtant se réclamer.

« Notre action s’inspire des valeurs chrétiennes d’accueil et de solidarité », affirme-t-elle. Mais cette interprétation sélective néglige totalement la dimension verticale de la foi et sa transcendance. Les « valeurs » évoquées semblent avoir été vidées de leur substance théologique pour n’en conserver qu’une coquille humaniste compatible avec les courants de pensée dominants.

La doctrine sociale de l’Église, élaborée depuis l’encyclique Rerum Novarum jusqu’aux contributions majeures de Jean-Paul II et Benoît XVI, propose pourtant un corpus cohérent qui offre une alternative aux idéologies matérialistes. Le MRJC paraît avoir délaissé cette richesse pour adopter des positions indiscernables de celles des mouvements progressistes séculiers.

Quand j’interroge Mme Edel sur les fondements théologiques qui sous-tendent les orientations du mouvement, sa réponse est révélatrice : « Nous préférons parler d’engagement concret plutôt que de théologie abstraite. » Cette dichotomie artificielle entre action et réflexion doctrinale illustre parfaitement la dérive intellectuelle d’un mouvement qui semble avoir perdu ses repères.

Les documents officiels du MRJC que j’ai consultés en préparant cet entretien confirment cette impression. Les références bibliques y sont rares et instrumentalisées, tandis que l’influence des sciences sociales contemporaines y est prépondérante. Même les termes utilisés trahissent cette acculturation : on y parle davantage d' »horizontalité », de « déconstruction » ou de « justice sociale » que de charité chrétienne ou de dignité humaine au sens où l’entend l’Église.

Les racines d’une dérive idéologique

Comment expliquer qu’un mouvement fondé pour former des jeunes ruraux dans l’esprit du catholicisme social ait pu s’éloigner à ce point de sa mission originelle ? L’évolution du MRJC reflète un phénomène plus large de sécularisation interne qui affecte certains mouvements catholiques.

« Nous sommes fidèles à l’esprit d’ouverture de Vatican II », affirme Cécile Edel. Une référence qui mérite d’être nuancée tant l’interprétation qu’en fait le MRJC semble partielle. Le concile Vatican II, s’il a effectivement encouragé le dialogue avec le monde moderne, n’a jamais préconisé l’abandon des vérités fondamentales de la foi.

Le véritable tournant s’est probablement opéré dans les années 1970-1980, lorsque certains mouvements d’Église ont progressivement substitué à la doctrine catholique des approches plus politisées, inspirées notamment par la théologie de la libération et diverses idéologies séculières. Cette évolution s’est faite par capillarité, sans rupture franche, mais avec des conséquences profondes sur l’identité de ces organisations.

Les liens historiques du MRJC avec la Jeunesse Agricole Catholique (JAC) témoignent de cette transformation. Alors que la JAC associait engagement social et formation spirituelle solide, le MRJC semble avoir conservé uniquement la dimension sociale de cet héritage.

En quittant le café où s’est déroulé notre entretien, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur l’avenir d’un mouvement qui, tout en revendiquant son appartenance à l’Église, s’éloigne si manifestement de son anthropologie fondamentale. Cette situation interpelle non seulement sur l’identité du MRJC, mais plus largement sur les défis que pose la transmission fidèle du message chrétien dans notre société contemporaine.

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