Je reviens d’un séjour d’investigation au Kosovo, cette terre des Balkans qui continue de panser ses plaies plus de vingt ans après la guerre. Ce territoire, autrefois partie intégrante de la Serbie, cristallise aujourd’hui des tensions religieuses méconnues du grand public occidental. Au fil de mes rencontres et de mes déplacements dans ce pays officiellement indépendant depuis 2008 – mais toujours contesté par Belgrade et plusieurs pays dont la Russie – j’ai pu constater l’ampleur d’un phénomène inquiétant : la persécution persistante des chrétiens orthodoxes dans une région où l’islam politique gagne du terrain.
Les chrétiens orthodoxes, cibles d’une épuration silencieuse
Le Kosovo présente une situation particulièrement préoccupante pour sa minorité serbe orthodoxe. Des villages entiers ont été vidés de leur population chrétienne depuis la fin du conflit de 1999. À Prizren, deuxième ville du pays, j’ai pu m’entretenir avec le père Sava, l’un des rares religieux orthodoxes encore présents. « Avant la guerre, notre communauté était florissante ici. Aujourd’hui, nous sommes à peine une centaine« , m’explique-t-il dans l’enceinte d’un monastère désormais protégé par des forces internationales.
Les exactions contre les lieux de culte chrétiens sont documentées mais peu médiatisées. Depuis 1999, plus de 150 églises et monastères orthodoxes ont été détruits ou profanés selon les données du patriarcat serbe. Le monastère de Dečani, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, ne doit sa survie qu’à la présence permanente de soldats de la KFOR, la force internationale déployée au Kosovo. Lors de ma visite, j’ai pu constater les impacts de balles encore visibles sur certaines façades.
Les témoignages recueillis auprès des familles serbes restantes sont alarmants. Radko, agriculteur de 62 ans dans la région de Metohija, m’a confié : « Nous ne pouvons plus nous déplacer librement. Nos terres sont convoitées, nos cimetières profanés. Chaque semaine, une famille décide de partir« . Les statistiques officielles sont éloquentes : la population serbe du Kosovo est passée d’environ 200 000 personnes avant la guerre à moins de 100 000 aujourd’hui, concentrée dans des enclaves sous protection.
Cette situation s’apparente à une épuration ethnique et religieuse en cours, sous l’œil parfois complaisant des autorités kosovares. L’archéologue française Marie-Hélène Arnaud, que j’ai rencontrée à Pristina, travaille sur la préservation du patrimoine religieux. Elle m’a confirmé que plusieurs sites historiques chrétiens avaient été délibérément effacés des cartes touristiques officielles, comme pour nier l’héritage orthodoxe séculaire de la région.
L’influence grandissante des réseaux islamistes
Parallèlement à ce recul de la présence chrétienne, j’ai pu observer l’émergence inquiétante d’un islam politique radical dans ce pays traditionnellement connu pour sa pratique modérée. À Pristina, la capitale, des mosquées financées par des fonds saoudiens ou turcs ont poussé comme des champignons. Les prêches wahhabites y trouvent un écho favorable auprès d’une jeunesse désœuvrée, confrontée à un taux de chômage avoisinant les 30%.
Mes investigations m’ont conduit à rencontrer Bekim, ancien agent des services de renseignement kosovars. Sous couvert d’anonymat, il m’a confirmé l’implantation de réseaux salafistes : « Depuis 2012, nous avons identifié plus de 400 Kosovars partis combattre en Syrie dans les rangs de Daech. C’est l’un des taux les plus élevés d’Europe par habitant« . Selon lui, des cellules dormantes existent toujours sur le territoire, malgré les efforts du gouvernement pour endiguer le phénomène.
L’influence étrangère est particulièrement visible dans le financement des structures éducatives et religieuses. À Gjilan, j’ai visité une madrasa flambant neuve, financée par une fondation du Golfe. Le directeur, formé en Arabie Saoudite, m’a assuré prôner un islam modéré, mais les ouvrages disponibles dans la bibliothèque témoignaient d’une autre réalité, avec la présence de textes prônant une vision rigoriste et anti-occidentale.
L’archevêque catholique de Prizren, que j’ai rencontré, partage ces inquiétudes. « Les catholiques kosovars albanais sont eux aussi sous pression. L’islamisation progresse dans tous les segments de la société« , m’a-t-il confié. Des témoignages recueillis auprès de femmes à Pristina confirment cette tendance : certaines évoquent des pressions croissantes pour adopter le voile, alors que la société kosovare était traditionnellement l’une des plus laïques des Balkans.
Les implications géopolitiques d’une poudrière religieuse
Cette situation préoccupante dépasse largement le cadre local. Le Kosovo est devenu un laboratoire d’influence pour diverses puissances. La Turquie d’Erdogan y exerce une influence grandissante, finançant mosquées et infrastructures. L’Arabie Saoudite et le Qatar y ont investi des millions dans des programmes religieux. Face à eux, la Russie soutient fermement les Serbes orthodoxes, utilisant cette cause comme levier d’influence dans les Balkans.
L’Union européenne semble démunie face à ces évolutions. Lors de ma visite au bureau de la représentation européenne à Pristina, un diplomate français m’a confié, sous couvert d’anonymat : « Nous sommes conscients des dérives, mais la stabilité à court terme prime souvent sur les inquiétudes religieuses dans notre approche« . Cette vision technocratique ignore les fractures profondes qui se creusent et le potentiel déstabilisateur qu’elles représentent.
Les services de renseignement occidentaux s’inquiètent pourtant de voir le Kosovo devenir une base arrière pour l’extrémisme. Un rapport confidentiel du Conseil de l’Europe, dont j’ai pu consulter des extraits, alerte sur les risques de « contagion » aux pays voisins comme la Macédoine du Nord et la Bosnie-Herzégovine, où les équilibres intercommunautaires restent fragiles.
Au terme de cette enquête au cœur des Balkans, force est de constater que le Kosovo représente aujourd’hui un angle mort de l’attention médiatique occidentale. La persécution des chrétiens s’y poursuit dans une relative indifférence, tandis que les graines d’un islamisme radical ont été semées dans ce territoire européen. L’enjeu dépasse désormais largement la question des droits des minorités pour devenir un défi sécuritaire que l’Europe ne peut ignorer.

Analyste politique rigoureux, Thomas décrypte les mécanismes du pouvoir et les décisions publiques avec clarté et esprit critique. Son credo : rendre lisible ce qui est volontairement complexe. Amateur de romans noirs et de débats de fond.