Le prix des lecteurs de Présent décerné à Jean-Marie Le Pen : un hommage controversé

J’ai suivi avec attention l’attribution du prix des lecteurs de Présent à Jean-Marie Le Pen fin 2018, une distinction qui n’a pas manqué de susciter des remous dans le paysage médiatique français. Cette récompense, décernée par le quotidien d’extrême droite à l’issue d’un vote de ses abonnés, mérite qu’on s’y attarde pour comprendre ce qu’elle révèle des dynamiques politiques à l’œuvre dans notre pays.

Un prix symbolique révélateur d’une ligne éditoriale assumée

Le 31 décembre 2018, le journal Présent annonçait sur son site internet l’attribution de son prix des lecteurs à Jean-Marie Le Pen, figure historique de l’extrême droite française. Cette distinction, loin d’être anodine, s’inscrit dans une tradition du quotidien qui, depuis sa création en 1982, n’a jamais caché ses affinités idéologiques. Il m’apparaît essentiel de replacer cette attribution dans son contexte institutionnel et politique.

Le prix des lecteurs et amis de Présent constitue avant tout un baromètre des sensibilités de son lectorat. En couronnant Le Pen père, les abonnés du journal ont manifesté un attachement persistant à celui qui, malgré son éviction du Front National (devenu Rassemblement National), demeure une référence pour une frange significative de l’électorat d’extrême droite. Cette fidélité à la figure tutélaire du mouvement nationaliste français témoigne d’un décalage certain avec la stratégie de « dédiabolisation » entreprise par Marine Le Pen.

En analysant les archives et documents disponibles, j’ai pu constater que ce prix intervenait à un moment particulier de la trajectoire politique de Jean-Marie Le Pen. Exclu du parti qu’il avait fondé, en conflit ouvert avec sa fille, l’octogénaire voyait dans cette distinction une forme de reconnaissance de son parcours politique. La rédaction de Présent justifiait ce choix en évoquant notamment la publication des mémoires du fondateur du Front National, « Fils de la nation », premier tome d’une autobiographie qui retraçait son enfance bretonne jusqu’à la guerre d’Indochine.

Les mécanismes de cette élection méritent d’être explicités : loin d’un simple coup médiatique, ce vote représente un véritable référendum interne qui permet de prendre le pouls d’une certaine France traditionaliste et nationaliste. En décryptant les coulisses de cette attribution, j’ai pu mesurer combien le journal Présent demeure un acteur singulier du paysage médiatique français, refusant la modération affichée par d’autres publications conservatrices.

Réactions contrastées et implications politiques

L’annonce de ce prix a provoqué un éventail de réactions révélatrices des clivages qui structurent notre débat public. Du côté des soutiens historiques de Jean-Marie Le Pen, cette distinction a été saluée comme une juste reconnaissance. Les fidèles du « Menhir », surnom donné au leader breton, y ont vu la confirmation que son héritage idéologique demeurait vivace malgré les tentatives d’effacement orchestrées par la direction du Rassemblement National.

En examinant attentivement les données publiques et les prises de position des différents acteurs, j’ai constaté que cette attribution survenait dans un contexte de reconfiguration du paysage politique à droite. La mouvance identitaire et traditionaliste, sentant le RN s’éloigner de certains fondamentaux, cherchait à réaffirmer son ancrage idéologique. Ce prix apparaît ainsi comme un message politique adressé tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du mouvement nationaliste.

Les réactions institutionnelles n’ont pas tardé. Plusieurs organisations de lutte contre le racisme et l’antisémitisme ont immédiatement dénoncé ce qu’elles considéraient comme une légitimation inacceptable d’un homme politique condamné à plusieurs reprises pour des propos controversés. La LICRA et SOS Racisme ont notamment rappelé les multiples condamnations judiciaires de Jean-Marie Le Pen pour contestation de crimes contre l’humanité, incitation à la haine raciale ou injures publiques.

Ce qui m’a particulièrement frappé dans l’analyse de cette séquence, c’est le silence relatif des grands médias nationaux. À l’exception de quelques articles factuels, l’attribution de ce prix par Présent n’a pas fait l’objet d’une couverture approfondie. Cette discrétion médiatique pose question et mériterait un examen critique des mécanismes d’agenda-setting qui régissent notre espace informationnel.

L’héritage politique en question

Au-delà de l’événement en lui-même, ce prix attribué à Jean-Marie Le Pen interroge sur la persistance de son influence dans le paysage politique français. En tant qu’observateur des institutions, je ne peux m’empêcher de relever la dimension symbolique de cette reconnaissance par un journal qui se revendique comme le gardien d’une certaine orthodoxie nationaliste.

L’analyse des publications et déclarations ultérieures de Jean-Marie Le Pen montre que cette distinction a conforté sa posture de gardien du temple idéologique. Dans ses interventions suivant l’attribution du prix, il a régulièrement fait référence à cette reconnaissance comme preuve de la justesse de ses positions politiques historiques, en opposition aux évolutions stratégiques impulsées par sa fille.

Le clivage entre tradition et modernisation au sein de la droite nationaliste se trouve ainsi mis en lumière par cet épisode apparemment anecdotique. En reconstituant les fils de cette actualité politique, j’ai pu mesurer combien les questions de filiation, d’héritage et de légitimité demeurent centrales dans l’écosystème de l’extrême droite française.

Les ramifications de cette attribution dépassent le simple cadre d’une récompense littéraire ou d’un hommage. Elles révèlent les tensions persistantes entre différentes visions du nationalisme français et interrogent sur l’avenir d’un courant politique travaillé par des forces contradictoires. En définitive, ce prix des lecteurs de Présent constitue un marqueur précieux pour quiconque s’intéresse aux mécanismes profonds qui structurent notre vie politique nationale.

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