Grève générale du 5 février : la CGT a convergé toute seule – Analyse syndicale et impact social

J’ai suivi de près la mobilisation syndicale du 5 février 2019, une journée qui restera dans les annales du mouvement social français. La CGT, dirigée alors par Philippe Martinez, avait appelé à une « grève générale » dans un contexte social déjà tendu par le mouvement des Gilets jaunes qui agitait le pays depuis novembre 2018. Cette manifestation interprofessionnelle voulait porter au gouvernement d’Édouard Philippe les revendications d’une large coalition de mécontents. Pourtant, le résultat fut moins unanime que prévu.

Anatomie d’une mobilisation syndicale fragmentée

En tant qu’observateur régulier des mouvements sociaux, je me suis rendu sur plusieurs points de rassemblement ce 5 février 2019. La CGT avait déployé son arsenal militant classique : banderoles rouges, service d’ordre, sonorisation puissante. Mais contrairement à ce que laissait entendre le terme ambitieux de grève générale nationale, la mobilisation est restée essentiellement circonscrite aux rangs de la centrale de Montreuil.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : selon le ministère de l’Intérieur, environ 137 200 manifestants dans toute la France, quand la CGT en revendiquait 300 000. À Paris, on comptait entre 18 000 et 30 000 personnes selon les sources. Des chiffres honorables mais loin d’une réelle paralysie nationale qu’aurait entraînée une véritable grève générale.

Le plus frappant dans cette journée fut l’absence remarquée des autres organisations syndicales majeures. Force Ouvrière, pourtant traditionnellement proche des positions de la CGT sur de nombreux sujets, n’a pas donné de consigne nationale de mobilisation. La CFDT, premier syndicat français en termes d’adhérents, brillait par son absence. Seuls Solidaires et la FSU ont accompagné la CGT dans cette démarche, mais ces organisations, bien que déterminées, pèsent moins dans le paysage syndical.

Cette fragmentation n’est pas nouvelle dans l’histoire syndicale française, mais elle prend une dimension particulière à l’heure où le mouvement des Gilets jaunes bousculait les repères traditionnels de la contestation sociale. J’ai pu constater sur le terrain que de nombreux manifestants portaient le fameux gilet, mais l’absence de coordination officielle entre les deux mouvements était palpable.

Contexte politique et revendications multiples

Pour comprendre cette journée du 5 février 2019, il faut la replacer dans son contexte politique. Le gouvernement d’Emmanuel Macron était alors dans sa deuxième année d’exercice, poursuivant des réformes contestées : loi Travail, réforme de la SNCF, et préparation de la réforme des retraites qui allait cristalliser les tensions quelques mois plus tard.

Les revendications portées par la CGT lors de cette mobilisation étaient nombreuses et diverses : hausse du SMIC à 1800 euros brut, revalorisation des pensions de retraite, rétablissement de l’ISF, ou encore opposition à la réforme de la fonction publique. Cette multiplication des motifs de contestation, si elle permettait théoriquement d’élargir la base des mécontents, a peut-être paradoxalement dilué le message.

J’ai interrogé ce jour-là plusieurs militants sur leur perception de cette stratégie. « On ne peut pas se contenter de défendre secteur par secteur, il faut une réponse globale à la politique de Macron », m’expliquait un délégué syndical de la métallurgie. Cette volonté de convergence des luttes, slogan fréquemment scandé dans le cortège, se heurtait pourtant à une réalité plus nuancée.

Le dialogue entre la CGT et l’exécutif était alors au point mort. Philippe Martinez avait refusé de participer au « grand débat national » lancé par Emmanuel Macron en réponse au mouvement des Gilets jaunes, le qualifiant de « grand bluff ». Cette posture de rupture totale avec le pouvoir contraste avec l’approche plus graduelle adoptée par d’autres organisations syndicales comme la CFDT, qui préféraient maintenir un canal de discussion, même critique.

L’héritage d’une journée d’action isolée

Avec le recul dont je dispose aujourd’hui, cette journée du 5 février 2019 apparaît comme un moment révélateur des limites du modèle traditionnel de mobilisation syndicale. La CGT, en voulant reprendre la main sur un mouvement social qui lui échappait largement avec les Gilets jaunes, s’est retrouvée à converger essentiellement avec elle-même.

Les taux de grève dans les différents secteurs témoignent de cette réalité : modestes dans l’éducation nationale et la fonction publique, faibles dans les transports et quasiment inexistants dans le secteur privé non nationalisé. La RATP et la SNCF, bastions traditionnels de la mobilisation sociale, n’ont connu que des perturbations limitées.

Cette mobilisation a néanmoins servi de test grandeur nature pour les stratégies syndicales à venir. Les grandes mobilisations contre la réforme des retraites qui ont suivi fin 2019 et début 2020 ont montré une meilleure coordination intersyndicale, seul moyen d’atteindre une masse critique de participants susceptible d’influencer réellement les politiques publiques.

En analysant les archives et les communiqués de cette période, il est frappant de constater que la notion même de grève générale a évolué dans le discours syndical. D’un outil de blocage total du pays visant à contraindre le pouvoir à céder, elle est devenue davantage une journée symbolique de mobilisation – une démonstration de force plus qu’un arrêt effectif de l’économie nationale.

Cette transformation du répertoire d’action collective des syndicats français reflète plus largement les mutations profondes du monde du travail et les défis considérables auxquels font face les organisations représentatives dans un paysage social de plus en plus fragmenté.

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