Ancien policier et auteur de polars : Sacerdot passe aux aveux – l’interview exclusive

J’avais pris rendez-vous dans un café discret du 6e arrondissement de Paris. Lorsque Jean-Claude Sacerdot s’installe face à moi, il ne correspond pas à l’image qu’on pourrait se faire d’un ancien policier. Svelte, élégant, regard vif et précis, il observe chaque détail autour de lui avant de se concentrer sur notre entretien. Son dernier roman policier, «L’Écho des silences», continue de grimper dans les classements des meilleures ventes et s’impose comme une référence dans le genre. L’occasion était trop belle pour ne pas revenir sur le parcours atypique de cet homme qui a troqué l’uniforme pour la plume.

De la brigade criminelle aux bestsellers

Sacerdot commence notre entretien avec cette franchise directe qui caractérise ses personnages de fiction. «Je n’ai jamais pensé devenir écrivain», m’avoue-t-il en sirotant son café serré. «Pendant vingt-trois ans à la criminelle, j’ai rédigé des rapports, des procès-verbaux, jamais je n’imaginais transformer cette expérience en romans.» La transition entre le monde policier et l’univers littéraire s’est faite presque naturellement pour lui, comme si l’un était le prolongement logique de l’autre.

À 58 ans aujourd’hui, l’ancien enquêteur de la brigade criminelle de Paris a publié sept romans depuis sa retraite anticipée en 2014. Son style incisif, sa connaissance approfondie des procédures judiciaires et sa capacité à décrire les mécanismes institutionnels lui ont valu une reconnaissance critique et publique. Ses récits tranchent avec la production habituelle du genre, souvent plus spectaculaire que réaliste.

«Ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’hémoglobine ou les rebondissements improbables», précise-t-il. «J’essaie de montrer comment fonctionne réellement une enquête, avec ses lenteurs, ses frustrations, ses contraintes administratives que le grand public ignore. La réalité est souvent plus complexe et subtile que la fiction.» Cette approche quasi documentaire fait la force de ses œuvres et explique leur succès auprès d’un lectorat lassé des clichés du polar.

Je lui fais remarquer que ses livres offrent une plongée dans les arcanes administratives de la police française, révélant des dysfonctionnements structurels que peu d’auteurs osent aborder. Il sourit. «J’ai passé trop d’années à observer ces failles pour ne pas les restituer. La fiction me permet aujourd’hui de dire ce que l’institution m’interdisait de formuler publiquement.»

Les coulisses d’une œuvre ancrée dans la réalité

Lorsque j’évoque les similitudes troublantes entre certaines de ses intrigues et des affaires criminelles médiatisées, Sacerdot adopte une posture plus mesurée. «Je m’inspire forcément de ce que j’ai connu, vécu ou observé. Mais la transposition fictionnelle me permet une liberté d’analyse que je n’avais pas étant fonctionnaire de police.» Cette distanciation n’empêche pas de reconnaître, en filigrane, des affaires qui ont marqué la chronique judiciaire française des deux dernières décennies.

Ce qui frappe dans l’œuvre de Sacerdot, c’est sa capacité à décortiquer les mécanismes institutionnels et les jeux de pouvoir qui influencent le cours des enquêtes. «Dans la réalité comme dans mes romans, les pressions hiérarchiques, les considérations politiques et les rivalités entre services pèsent souvent plus lourd que les indices matériels.» Une vision qui rejoint mon propre constat sur le fonctionnement des institutions républicaines, où l’opacité reste souvent la règle malgré les discours sur la transparence.

L’auteur me confie avoir conservé un vaste réseau de contacts actifs dans différents services, ce qui lui permet de maintenir son œuvre au plus près des réalités contemporaines. «Je vérifie systématiquement mes informations, même pour la fiction. La crédibilité est le socle de mes romans. Si le lecteur sent que je triche sur les procédures ou le fonctionnement interne, je perds toute légitimité.»

Cette rigueur quasi journalistique se retrouve dans la précision de ses descriptions, tant sur les aspects techniques des investigations que sur les subtilités des relations humaines au sein des équipes d’enquêteurs. Sacerdot prend un malin plaisir à déconstruire les mythes véhiculés par les séries télévisées, tout en proposant une vision nuancée du métier de policier.

L’auteur face à ses démons et ses responsabilités

Notre conversation prend un tour plus personnel lorsque j’aborde la question de la violence policière, sujet brûlant d’actualité. Sacerdot ne se dérobe pas. «J’ai été témoin de dérapages, comme tout policier ayant fait carrière. Dans mes romans, je n’idéalise pas l’institution ni ses membres. Je montre des hommes et des femmes faillibles, parfois héroïques, parfois défaillants.»

Cette honnêteté, rare chez les anciens membres des forces de l’ordre devenus auteurs, participe à la singularité de son œuvre. «Il serait malhonnête de ma part de présenter une vision aseptisée du métier», poursuit-il. «Les pressions psychologiques, la fatigue chronique, la confrontation quotidienne à la misère et à la violence façonnent des comportements qui peuvent déraper.»

Si Sacerdot ne cherche pas à excuser les bavures, il s’efforce d’en comprendre les mécanismes pour les restituer avec justesse dans ses récits. Cette démarche lui a valu quelques inimitiés dans son ancien milieu professionnel, mais aussi une reconnaissance pour son intégrité intellectuelle.

À l’heure de nous séparer, je lui demande ce qui le pousse à continuer d’écrire. Sa réponse résume parfaitement sa démarche : «Écrire me permet de faire ce que je n’ai pas toujours pu faire avec mon expérience de policier : dire la vérité, toute la vérité, sans contrainte hiérarchique. C’est ma façon de rendre service à la fois à mes anciens collègues et aux citoyens.» Une mission qu’il poursuit avec son huitième roman, actuellement en préparation, qui s’annonce comme une plongée encore plus audacieuse dans les zones d’ombre du système judiciaire français.

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