Les Insoumis : l’autre débâcle des européennes et son impact sur la politique française

J’ai suivi de près les élections européennes 2019 depuis leur préparation jusqu’aux résultats définitifs. La soirée électorale a révélé plusieurs bouleversements majeurs dans le paysage politique français. Si la défaite de la liste Renaissance menée par Nathalie Loiseau face au Rassemblement National a largement occupé les commentaires, un autre échec cuisant a marqué ce scrutin : celui de La France Insoumise. Ce mouvement, qui avait pourtant connu une ascension fulgurante lors de la présidentielle 2017, s’est retrouvé en situation de grande fragilité. Analysons ensemble cette débâcle et ses implications pour la gauche française.

La chute vertigineuse de La France Insoumise aux européennes

Les résultats des élections européennes de mai 2019 ont constitué un véritable électrochoc pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon. Avec seulement 6,31% des suffrages exprimés, la liste conduite par Manon Aubry a réalisé un score très en-deçà des attentes. Cette performance représente une perte de plus de 11 points par rapport aux 19,58% obtenus par Jean-Luc Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle deux ans plus tôt. Le contraste est saisissant et interroge sur la solidité électorale du mouvement.

L’effondrement apparaît d’autant plus préoccupant que LFI se retrouve largement distancée par la liste écologiste d’EELV conduite par Yannick Jadot, qui a enregistré 13,5% des voix. Je note que le parti insoumis s’est même fait devancer par la liste PS-Place Publique de Raphaël Glucksmann, créditée de 6,7% des suffrages. Pour un mouvement qui ambitionnait de devenir hégémonique à gauche, le coup est particulièrement rude. Cette contre-performance interroge sur la capacité du mouvement à mobiliser au-delà des grands rendez-vous présidentiels.

Plusieurs facteurs explicatifs peuvent être avancés. D’abord, la stratégie de polarisation permanente adoptée par Jean-Luc Mélenchon après la présidentielle a probablement éloigné une partie de l’électorat. Les épisodes controversés de la perquisition au siège de LFI et les sorties médiatiques parfois virulentes ont sans doute brouillé l’image du mouvement. Par ailleurs, la question des réfugiés en Europe, sujet particulièrement sensible lors de ces élections, a peut-être été insuffisamment traitée par le mouvement, contrairement à d’autres formations qui ont mis en avant les associations et groupements de solidarité pour les réfugiés en Europe.

Les conséquences immédiates pour l’échiquier politique français

Cette débâcle électorale a provoqué un véritable séisme au sein de la gauche française. Pour La France Insoumise, c’est la fin du rêve d’hégémonie sur cet espace politique. Le mouvement, qui se présentait depuis 2017 comme le successeur naturel du Parti Socialiste, voit sa stratégie remise en question. L’échec a rapidement engendré des tensions internes. Plusieurs figures du mouvement, comme Charlotte Girard ou François Cocq, ont pris leurs distances dans les mois suivant l’élection, critiquant la verticalité de l’organisation et le manque de démocratie interne.

Sur l’échiquier politique global, ces résultats ont rebattu les cartes de la recomposition entamée en 2017. La gauche française est apparue plus fragmentée que jamais, divisée entre quatre formations principales (LFI, EELV, PS-Place Publique et PCF) totalisant environ 30% des suffrages. Cette dispersion contrastait fortement avec la bipolarisation qui semblait se dessiner entre le macronisme et le RN, les deux blocs dominant largement le paysage électoral.

J’observe également que cette défaite a engendré un affaiblissement significatif de la voix des Insoumis dans le débat public. Leur influence médiatique, considérable après la présidentielle 2017, s’est nettement érodée. Le groupe parlementaire à l’Assemblée nationale, bien que combatif, a perdu une partie de sa capacité d’entraînement. Dans cette configuration, les écologistes sont apparus comme les grands bénéficiaires à gauche, captant une partie de l’électorat progressiste déçu par les positions parfois ambiguës de LFI sur l’Europe.

Les leçons stratégiques d’un revers électoral majeur

Cette élection européenne a mis en lumière plusieurs faiblesses structurelles du mouvement insoumis. En premier lieu, la difficulté à transformer un vote présidentiel personnalisé autour de Jean-Luc Mélenchon en soutien durable à une organisation politique. Le charisme du leader, atout majeur en 2017, n’a pas suffi à maintenir la dynamique dans un scrutin où il n’était pas directement candidat. Cette personnalisation excessive constitue un handicap pour l’institutionnalisation du mouvement.

Deuxièmement, l’ambiguïté de la ligne politique européenne a sans doute brouillé le message auprès des électeurs. Entre critique radicale des traités et refus d’une posture explicitement anti-européenne, LFI n’a pas réussi à trouver un positionnement clair, laissant le champ libre à des formations aux messages plus lisibles sur ce sujet. Les électeurs sensibles à la question européenne ont préféré se tourner vers des partis aux positions plus tranchées.

Enfin, l’impossibilité de fédérer la gauche derrière une candidature unique s’est révélée coûteuse en termes électoraux. L’échec des négociations avec le PCF, partenaire traditionnel, a illustré les limites de la stratégie d’expansion par absorption prônée par les dirigeants insoumis. La volonté d’imposer une hégémonie sans concessions a paradoxalement contribué à fragmenter davantage l’espace politique visé.

Ces enseignements sont cruciaux pour comprendre les évolutions ultérieures du paysage politique français. La recomposition à gauche, loin d’être achevée en 2019, s’est poursuivie dans les années suivantes, avec notamment le rapprochement des forces qui aboutira plus tard à la création de la NUPES pour les législatives de 2022. La débâcle de 2019 aura ainsi constitué un point d’inflexion majeur, forçant les Insoumis à repenser leur stratégie d’alliance et leur rapport aux autres forces de gauche.

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