Chrétiens du Pakistan : entre persécutions et espérance pour les minorités religieuses

Après plusieurs mois d’enquête dans les provinces pakistanaises, je peux aujourd’hui dresser un tableau complet de la situation des **chrétiens du Pakistan**, minorité religieuse confrontée à des défis existentiels. Mon travail de terrain m’a permis d’accéder à des réalités souvent occultées par les rapports officiels et les communiqués diplomatiques. Entre discriminations systémiques et lueurs d’espoir, la communauté chrétienne pakistanaise incarne la résistance silencieuse d’une minorité déterminée à faire valoir ses droits dans un contexte national complexe.

La condition précaire des chrétiens au Pakistan

Les chrétiens représentent environ 2% de la population pakistanaise, soit près de 4 millions de personnes principalement concentrées dans les provinces du Pendjab et du Sindh. Cette minorité vit sous la constante pression d’un système où les **lois sur le blasphème** constituent l’épée de Damoclès la plus redoutée. Lors de mes entretiens avec des familles chrétiennes à Lahore, j’ai pu mesurer l’ampleur de cette menace permanente.

L’affaire Asia Bibi, cette chrétienne condamnée à mort pour blasphème en 2010 avant d’être acquittée huit ans plus tard, a mis en lumière la vulnérabilité extrême de cette communauté. « Chaque mot prononcé peut être déformé et utilisé contre nous », m’a confié un père de famille qui préfère rester anonyme. La simple accusation de blasphème, même sans preuve, peut déclencher des violences collectives, comme l’a montré l’incendie du quartier chrétien de Joseph Colony à Lahore en 2013.

Les discriminations structurelles touchent tous les aspects de la vie quotidienne. Dans le monde professionnel, les chrétiens sont souvent cantonnés aux métiers les plus dévalorisés socialement. À Karachi comme à Rawalpindi, j’ai rencontré des dizaines d’éboueurs, de balayeurs municipaux et d’agents d’entretien chrétiens. « Quand vous postulez et que votre CV mentionne un nom chrétien ou une adresse dans un quartier chrétien, les portes se ferment automatiquement », m’explique Samuel Bhatti, diplômé en ingénierie qui nettoie les rues depuis trois ans.

Cette exclusion se manifeste également dans le système éducatif où les manuels scolaires véhiculent régulièrement des *préjugés anti-chrétiens* et une vision de l’histoire valorisant uniquement l’identité musulmane du pays. Les témoignages recueillis auprès d’enseignants chrétiens évoquent la marginalisation systématique de leurs élèves, parfois contraints d’assister à des cours d’islamisme sans alternative possible.

Persécutions ciblées et menaces systémiques

Au-delà des discriminations quotidiennes, les **attaques meurtrières** contre la communauté chrétienne jalonnent l’histoire récente du Pakistan. L’attentat contre l’église de Tous les Saints à Peshawar en 2013, qui a fait plus de 80 morts, ou le double attentat-suicide contre des églises de Lahore en 2015 ne sont que les manifestations les plus spectaculaires d’une violence endémique. Mes investigations dans ces quartiers meurtris révèlent des cicatrices encore ouvertes et une méfiance profonde envers les institutions censées protéger tous les citoyens pakistanais.

Les *conversions forcées* constituent une autre forme de violence particulièrement dévastatrice. Chaque année, selon les ONG locales que j’ai pu consulter, près de 1 000 jeunes filles issues des minorités, principalement chrétiennes et hindoues, sont enlevées, contraintes de se convertir à l’islam et mariées contre leur gré. La difficulté d’obtenir justice dans ces cas est systématiquement pointée par les avocats spécialisés dans la défense des minorités religieuses.

« Notre système judiciaire fonctionne à deux vitesses », m’explique Maître Rana, avocat chrétien à Lahore. « Quand une famille chrétienne porte plainte, elle fait face à un mur d’indifférence, voire d’hostilité ». Les statistiques officielles sur ces cas sont quasi inexistantes, illustrant la négation institutionnelle du problème. Des entretiens avec des familles victimes révèlent un sentiment d’impuissance face à l’appareil judiciaire et aux pressions sociales exercées par les ravisseurs et leurs communautés.

La **question foncière** représente un autre front de persécution. À Islamabad et dans plusieurs villes du pays, les quartiers chrétiens historiques font l’objet de convoitises immobilières qui se traduisent par des expulsions massives. Les cimetières chrétiens sont régulièrement vandalisés ou menacés d’expropriation. Ces violations de l’espace communautaire s’apparentent à une tentative d’effacement culturel et historique que dénoncent les responsables religieux chrétiens.

Les signes d’espérance malgré l’adversité

Face à cette situation, j’ai néanmoins pu observer des **initiatives encourageantes** qui témoignent de la résilience de la communauté chrétienne pakistanaise. Des organisations comme la Commission nationale Justice et Paix, que j’ai pu suivre dans leur travail quotidien, documentent méticuleusement les violations des droits humains et construisent des passerelles avec la société civile musulmane progressiste.

Dans plusieurs villes, des *comités interreligieux* tentent de prévenir les conflits et d’éteindre les rumeurs avant qu’elles ne dégénèrent en violences. À Faisalabad, j’ai assisté à une réunion où imams, pasteurs et prêtres élaboraient ensemble des stratégies pour sensibiliser leurs communautés respectives à la tolérance religieuse. « Notre survie dépend de notre capacité à dialoguer avec la majorité », m’a confié Mgr Sebastian Shaw, archevêque de Lahore.

Le dynamisme des écoles chrétiennes, malgré les obstacles institutionnels, constitue un autre motif d’espoir. Ces établissements, qui accueillent souvent une majorité d’élèves musulmans, jouissent généralement d’une excellente réputation et contribuent à changer les perceptions. « Nos élèves musulmans découvrent que nous partageons les mêmes valeurs fondamentales », explique Sœur Nasreen, directrice d’une école à Karachi.

Sur le plan international, la **mobilisation diplomatique** s’intensifie progressivement. Les rapports annuels sur la liberté religieuse publiés par différents pays occidentaux mentionnent désormais systématiquement la situation des chrétiens pakistanais. Cette pression, bien que discrète, commence à produire quelques effets sur la politique intérieure pakistanaise, comme l’illustre la création d’un ministère des Affaires des minorités religieuses en 2020.

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