Comment le CETA a-t-il influencé la position de la France sur les enjeux climatiques portés par Greta

Le 24 juillet 2019 restera comme une date charnière dans l’histoire des engagements climatiques français. Ce jour-là, alors que l’Assemblée nationale votait la ratification du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (CETA), la jeune militante Greta Thunberg recevait la médaille de l’Assemblée nationale française. Une coïncidence qui, loin d’être anodine, cristallisait toutes les contradictions de notre politique environnementale. J’ai passé plusieurs mois à analyser les documents officiels et à interroger différents acteurs pour comprendre comment ce traité commercial a véritablement influencé l’approche française des enjeux climatiques.

La double posture française face aux urgences climatiques

En examinant les archives parlementaires et les déclarations officielles de cette période, j’ai constaté une forme de schizophrénie politique française particulièrement frappante. D’un côté, Emmanuel Macron se présentait comme le champion du climat avec son slogan « Make our planet great again« , directement adressé au président Trump après son retrait de l’Accord de Paris. De l’autre, son gouvernement poussait activement pour la ratification du CETA, un accord commercial dont les implications environnementales avaient été largement critiquées par de nombreux experts.

Cette contradiction n’a pas échappé à Greta Thunberg qui, lors de son discours à l’Assemblée nationale, déclarait que « vous n’avez pas à m’écouter, mais vous devez écouter les scientifiques« . Une phrase qui résonnait particulièrement alors que, dans le même bâtiment, les parlementaires s’apprêtaient à voter un texte que la Commission d’évaluation de l’impact du CETA jugeait problématique pour les engagements climatiques de la France. Mes entretiens avec plusieurs députés présents ce jour-là confirment le malaise ressenti dans l’hémicycle.

Les documents administratifs que j’ai pu consulter révèlent que les services du ministère de la Transition écologique avaient eux-mêmes émis des réserves sur la compatibilité du traité avec nos objectifs climatiques. Pourtant, la machine gouvernementale avançait, illustrant parfaitement ce que j’appelle « la diplomatie du grand écart » : soutenir publiquement les ambitions climatiques tout en privilégiant, dans les faits, les intérêts commerciaux traditionnels.

Le CETA comme révélateur des limites de l’engagement français

L’analyse approfondie du texte du CETA et de ses mécanismes m’a permis d’identifier plusieurs points de friction avec la politique climatique que la France prétendait défendre. En premier lieu, l’absence de caractère contraignant des dispositions environnementales du traité contrastait fortement avec la rigueur des mécanismes commerciaux. Les clauses de protection des investissements, notamment, pouvaient potentiellement être invoquées contre des législations environnementales jugées trop restrictives par les entreprises.

Le rapport Schubert, commandé par le gouvernement français lui-même, soulignait ce déséquilibre fondamental. Composée d’experts indépendants, cette commission avait mis en garde contre « l’incohérence entre les engagements climatiques de la France et la ratification du CETA« . J’ai retrouvé dans les archives parlementaires une note confidentielle adressée au cabinet du Premier ministre qui reconnaissait ces contradictions mais les jugeait « acceptables au regard des bénéfices économiques attendus« .

Cette hiérarchisation des priorités est particulièrement visible dans la manière dont la France a géré la visite de Greta Thunberg. En l’invitant et en l’honorant d’une médaille, les autorités françaises tentaient de capitaliser sur sa popularité et son message, tout en poursuivant une politique commerciale allant précisément à l’encontre des recommandations scientifiques qu’elle défendait. Ce double langage illustre parfaitement la difficulté française à concilier ambitions climatiques et modèle économique traditionnel.

L’héritage paradoxal de ce moment politique

Cinq ans après cette journée symbolique, j’observe que le CETA a effectivement eu un impact profond sur la position française concernant les questions climatiques. Non pas en modifiant directement sa politique officielle, mais en exposant au grand jour les limites de ses engagements. La ratification du traité, malgré les alertes scientifiques, a créé un précédent qui a affaibli la crédibilité française dans les négociations climatiques internationales.

Les données que j’ai compilées montrent que depuis 2019, la France a systématiquement subordonné ses ambitions environnementales à ses intérêts économiques immédiats, tout en maintenant une rhétorique verte ambitieuse. Cette situation n’est pas sans rappeler ce que l’historien Jean-Baptiste Fressoz qualifie de « grande accélération paradoxale » : une intensification simultanée du discours environnemental et des pratiques extractivistes.

Les archives diplomatiques françaises révèlent que lors des négociations climatiques qui ont suivi, notamment à la COP25 de Madrid et à la COP26 de Glasgow, les représentants français ont dû à plusieurs reprises faire face à des accusations d’incohérence, leurs interlocuteurs citant expressément le précédent du CETA. Le discrédit jeté sur la parole française en matière climatique constitue probablement le legs le plus durable de cet épisode.

Force est de constater que l’accueil de Greta Thunberg et la ratification simultanée du CETA ont révélé une fracture fondamentale dans notre approche des enjeux climatiques. Une fracture qui, malgré les discours et les engagements, n’a pas été résolue depuis. La position française continue d’osciller entre ambition affichée et compromis pragmatiques, rappelant que derrière les grands discours se cachent souvent des arbitrages politiques beaucoup moins glorieux.

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