La scène qui s’est déroulée à Nairobi fin 2019 mérite qu’on s’y attarde. J’ai pu analyser comment cette conférence internationale, organisée sous l’égide des Nations Unies, s’est transformée en véritable champ de bataille idéologique. Les enjeux dépassaient largement le cadre d’une simple réunion onusienne : ils touchaient aux questions fondamentales de la vie humaine et de la souveraineté des nations face aux pressions internationales.
Le sommet de Nairobi : une confrontation idéologique majeure
Le Sommet de Nairobi, officiellement intitulé « Conférence internationale sur la population et le développement » (CIPD25), s’est tenu du 12 au 14 novembre 2019 dans la capitale kényane. Cet événement marquait le 25ème anniversaire de la conférence du Caire de 1994 sur le même sujet. J’ai constaté que, derrière les discours officiels sur le « droit des femmes » et la « santé reproductive », se dessinait un agenda beaucoup plus controversé.
Les organisateurs, principalement le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP), le gouvernement du Kenya et celui du Danemark, avaient élaboré un programme ambitieux. Leur objectif affiché était d’accélérer la mise en œuvre du « Programme d’action » adopté au Caire. Mais plusieurs délégations et observateurs ont rapidement identifié une volonté d’imposer l’avortement comme un droit universel, au mépris des législations nationales et des sensibilités culturelles.
Les tensions se sont cristallisées autour du document final que les organisateurs souhaitaient faire adopter. Ce texte, préparé en amont sans véritable consultation des États membres, contenait des formulations ambiguës mais révélatrices. On y parlait d' »accès universel aux soins de santé sexuelle et reproductive », une terminologie que les défenseurs pro-vie ont immédiatement identifiée comme un euphémisme pour promouvoir l’avortement. Cette stratégie sémantique n’est pas nouvelle dans les enceintes onusiennes, j’ai pu l’observer à maintes reprises lors de mes enquêtes sur les mécanismes institutionnels internationaux.
La délégation américaine, soutenue par plusieurs pays, principalement africains et sud-américains, a exprimé des réserves substantielles. Ces pays ont dénoncé une tentative de contourner les processus démocratiques nationaux pour imposer des normes controversées en matière de sexualité et de procréation. Un diplomate brésilien m’a confié sous couvert d’anonymat : « Nous assistons à une forme de néo-colonialisme idéologique que nous ne pouvons accepter. »
La mobilisation internationale des défenseurs de la vie
Face à cette offensive, la résistance s’est organisée de manière remarquable. J’ai pu observer une coordination inédite entre différentes organisations non gouvernementales pro-vie venues des cinq continents. Ces acteurs de la société civile ont déployé une stratégie en trois temps : sensibilisation préalable des délégations nationales, présence active lors du sommet, et communication alternative pour contrebalancer le narratif dominant.
La Déclaration de Nairobi, texte alternatif proposé par une coalition de pays réfractaires à l’agenda du sommet officiel, a constitué le point d’orgue de cette mobilisation pro-vie. Ce document réaffirmait la souveraineté des États en matière de politique familiale et appelait au respect des différentes sensibilités culturelles et religieuses. La déclaration a été soutenue par onze pays, dont les États-Unis, le Brésil, la Pologne, la Hongrie et plusieurs nations africaines.
Les représentants du Saint-Siège ont également joué un rôle déterminant. Dans une intervention remarquée, ils ont rappelé que la promotion authentique des droits des femmes ne pouvait se faire au détriment du droit à la vie des enfants à naître. Cette position reflétait la pensée du pape François qui, quelques semaines auparavant, avait condamné ce qu’il qualifiait de « culture du déchet » concernant les êtres humains les plus vulnérables.
J’ai également noté la présence active d’organisations africaines défendant les valeurs familiales traditionnelles. Ces groupes locaux ont contesté le narratif selon lequel l’accès à l’avortement serait une priorité pour les femmes africaines. Une responsable kényane m’a déclaré : « Nos priorités sont l’accès à l’eau potable, à l’éducation et aux soins de base. Nous n’avons pas besoin qu’on nous impose des agendas occidentaux qui ne correspondent pas à nos réalités. »
Les implications géopolitiques de l’échec du sommet
L’analyse des conséquences diplomatiques de ce sommet révèle des dynamiques profondes au sein des relations internationales contemporaines. J’ai identifié trois effets majeurs qui continuent d’influencer les débats sur ces questions sensibles.
En premier lieu, la fracture Nord-Sud s’est manifestée avec une acuité particulière. Les nations occidentales (principalement européennes et nord-américaines), à l’exception notable des États-Unis sous l’administration Trump, ont massivement soutenu l’agenda pro-avortement. À l’inverse, de nombreux pays d’Afrique, d’Amérique latine et du Moyen-Orient ont exprimé leur opposition. Cette configuration géopolitique témoigne d’un clivage axiologique fondamental qui transcende les habituels alignements diplomatiques.
Deuxièmement, cet épisode a mis en lumière les limites du multilatéralisme onusien face aux questions éthiques fondamentales. Les organisations internationales, théoriquement neutres, apparaissent de plus en plus comme des vecteurs d’une certaine vision du monde, suscitant des résistances légitimes au nom de la diversité culturelle. Un diplomate ougandais m’a confié : « Nous respectons l’ONU, mais nous ne pouvons accepter qu’elle devienne l’instrument d’une idéologie unique. »
Troisièmement, ce sommet a consolidé l’émergence d’une coalition internationale pro-vie transcendant les clivages religieux et politiques traditionnels. Cette alliance inédite entre catholiques, évangéliques, musulmans et représentants d’autres traditions spirituelles atteste que la défense de la vie dès sa conception constitue un terrain de convergence possible entre des acteurs habituellement opposés sur d’autres sujets.
Le bilan de Nairobi reste donc contrasté. Si les promoteurs de l’agenda pro-avortement ont maintenu leur pression, ils se sont heurtés à une résistance qui témoigne de la vitalité du débat démocratique international. La question demeure ouverte : les institutions internationales sauront-elles respecter la diversité des approches en matière d’éthique de la vie, ou continueront-elles à promouvoir une vision uniforme malgré les oppositions légitimes?
Analyste politique rigoureux, Thomas décrypte les mécanismes du pouvoir et les décisions publiques avec clarté et esprit critique. Son credo : rendre lisible ce qui est volontairement complexe. Amateur de romans noirs et de débats de fond.