Robert Brasillach : l’œuvre théâtrale méconnue d’un écrivain controversé

Robert Brasillach reste une figure controversée de la littérature française. Son engagement politique durant l’Occupation l’a souvent relégué aux marges de l’histoire littéraire. Au-delà de ses écrits journalistiques et de ses romans, sa production théâtrale demeure largement méconnue du grand public. Je me suis penché sur cette facette obscure de son œuvre, analysant un corpus dramatique qui révèle d’autres dimensions de cet intellectuel exécuté en 1945 pour intelligence avec l’ennemi.

L’émergence d’un dramaturge dans l’entre-deux-guerres

Dans le paysage littéraire français des années 1930, Brasillach s’est d’abord fait connaître comme critique et romancier avant de s’essayer à l’art dramatique. Son parcours théâtral débute véritablement en 1931 avec sa pièce « Domrémy », inspirée de Jeanne d’Arc, figure qu’il admirait particulièrement. Cette première œuvre révèle déjà les thèmes qui traverseront sa production dramaturgique : l’héroïsme, le sacrifice et la nation.

Son activité de critique dramatique à l’Action Française lui a permis d’acquérir une connaissance approfondie des mécanismes théâtraux. Ce bagage technique transparaît dans la construction de ses pièces, marquées par un sens aigu du dialogue et une maîtrise des effets scéniques. Je constate que Brasillach, contrairement à certaines idées reçues, ne se contentait pas d’utiliser le théâtre comme simple véhicule idéologique.

Son modèle esthétique puise dans le classicisme français tout en intégrant des influences européennes contemporaines. La dramaturgie de Brasillach se caractérise par une tension permanente entre tradition et modernité, reflet de ses propres contradictions intellectuelles. Cette dualité caractérise particulièrement sa pièce « La Reine de Césarée » (1934), où il revisite l’Antiquité avec un regard contemporain.

Durant cette période formatrice, Brasillach développe un style théâtral qui privilégie la sobriété des moyens scéniques au profit de la puissance textuelle. Ses premières représentations, souvent dans des cercles restreints, n’ont pas connu le succès populaire mais ont néanmoins été remarquées par certains critiques de l’époque pour leur originalité formelle et leur intensité dramatique.

Théâtre et politique pendant l’Occupation

La période 1940-1944 marque un tournant dans la production théâtrale de Brasillach. Directeur de « Je Suis Partout », journal ouvertement collaborationniste, il parallèlement poursuit son œuvre dramatique avec une orientation idéologique plus marquée. Sa pièce « Bérénice » (1942), relecture de l’œuvre racinienne, illustre cette évolution où les enjeux politiques imprègnent désormais la trame narrative.

Durant l’Occupation, Brasillach bénéficie d’une relative liberté créative, ses positions idéologiques correspondant aux attentes des autorités allemandes. Cette situation privilégiée lui permet de voir certaines de ses pièces montées dans les théâtres parisiens, alors que d’autres dramaturges subissent censure et persécutions. Je note que cette période, si elle fut prolixe pour l’auteur, reste entachée par le contexte de sa création.

Son drame « Les Frères ennemis » (1943) visite le thème de la division nationale à travers le prisme d’un conflit familial. Cette œuvre résonne particulièrement avec les fractures que connaît la France de Vichy, tout en révélant l’ambivalence de Brasillach face aux déchirements de son époque. La pièce, aujourd’hui rarement mentionnée dans les études littéraires, constitue pourtant un document historique significatif sur les représentations culturelles de la Collaboration.

Les critiques théâtrales que Brasillach continue de publier pendant cette période révèlent également ses orientations esthétiques et idéologiques. Ses écrits sur le théâtre allemand contemporain et sa défense d’un art dramatique « européen » s’inscrivent dans la politique culturelle collaborative qu’il prônait. Les débats sur l’identité culturelle et nationale traversent son œuvre critique comme sa production dramatique, révélant les contradictions d’un intellectuel pris dans la tourmente de l’Histoire.

Postérité d’une œuvre théâtrale complexe

Après l’exécution de Brasillach en février 1945, son œuvre théâtrale connaît une longue période d’éclipse. La redécouverte de cette production dramatique s’est faite tardivement et partiellement, souvent entourée de polémiques. Les premières études sérieuses consacrées à son théâtre datent des années 1980, lorsque certains chercheurs ont entrepris d’analyser cette facette méconnue de sa création.

La question de la séparation entre l’homme et l’œuvre se pose avec une acuité particulière concernant Brasillach. Je m’interroge régulièrement sur la possibilité d’apprécier la valeur esthétique de ses pièces indépendamment de son engagement politique. Cette question, qui concerne l’ensemble de son œuvre, prend une dimension particulière pour ses écrits dramatiques, moins connus et donc moins immédiatement associés à ses positions idéologiques.

Certaines de ses pièces inédites, découvertes dans ses archives, ont été publiées posthumément, notamment « La Mort de Néron » (1955) et « La Peste à Venise » (1964). Ces œuvres tardives témoignent d’une évolution stylistique et thématique qui aurait peut-être conduit Brasillach vers d’autres horizons créatifs si son parcours n’avait été brutalement interrompu.

Aujourd’hui, l’étude objective de son théâtre nécessite une mise en contexte historique rigoureuse et une approche critique équilibrée. Les quelques tentatives contemporaines de mise en scène de ses pièces demeurent confidentielles et suscitent généralement des réactions contrastées, entre condamnation morale et défense de la liberté artistique. Cet héritage dramatique complexe continue d’interroger notre rapport à la mémoire littéraire française du XXe siècle et aux œuvres nées dans les périodes les plus sombres de notre histoire.

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