Coronavirus : l’éthique médicale face à la question de l’euthanasie des patients âgés

La pandémie de coronavirus a bousculé nos certitudes et ébranlé nos systèmes de santé comme jamais auparavant. En scrutant les données et documents officiels qui me parviennent quotidiennement, je constate que la crise sanitaire a soulevé des questions éthiques fondamentales, notamment concernant la prise en charge des patients âgés. L’Italie, puis l’Espagne et la France ont dû faire face à des choix dramatiques lorsque leurs capacités hospitalières ont été submergées. Ces décisions rappellent étrangement les mécanismes de tri observés dans d’autres crises humanitaires où des associations et groupements de solidarité pour les réfugiés en Europe avaient dû établir des priorités d’intervention.

Éthique médicale sous tension: le dilemme du tri des patients

Dans les couloirs des hôpitaux saturés, l’impensable est devenu réalité: des protocoles de priorisation des soins ont dû être établis. En enquêtant auprès de sources hospitalières, j’ai pu confirmer que certains établissements ont été contraints d’appliquer des critères de sélection pour l’accès aux soins intensifs. En Lombardie d’abord, puis dans d’autres régions européennes, des directives ont été transmises aux équipes médicales pour gérer la pénurie de respirateurs et de lits de réanimation.

Ces protocoles, bien que nécessaires sur le plan logistique, soulèvent de profondes questions éthiques sur la valeur relative accordée aux vies humaines. Loin des caméras et des conférences de presse, des médecins m’ont confié avoir dû prendre des décisions qu’ils n’auraient jamais imaginé devoir prendre en temps de paix. « Nous avons dû choisir qui pouvait bénéficier des soins intensifs », m’a expliqué un réanimateur italien sous couvert d’anonymat, « et l’âge est devenu, malgré nous, un critère déterminant ».

Les recommandations de la Société Italienne d’Anesthésie, d’Analgésie, de Réanimation et de Soins Intensifs (SIAARTI) ont effectivement mentionné la nécessité potentielle de fixer une limite d’âge pour l’admission en soins intensifs. Ce document, que j’ai pu analyser en détail, révèle l’ampleur du dilemme auquel ont été confrontés les professionnels de santé: maximiser les bénéfices pour parmi les plus le plus grands nombre impliquait parfois de privilégier les patients ayant la plus grande espérance de vie.

En France, sans aller jusqu’à formaliser des critères d’âge stricts, des établissements ont dû mettre en place des cellules éthiques pour statuer sur les cas les plus complexes. Les comptes-rendus de ces réunions, dont j’ai obtenu certains exemplaires, montrent que l’âge, associé aux comorbidités, est devenu un facteur décisif dans l’attribution des ressources limitées.

De la priorisation à l’euthanasie passive: une frontière éthique floue

Le refus d’admission en réanimation pour certains patients âgés s’apparente-t-il à une forme d’euthanasie passive? La question mérite d’être posée sans détour. Les soignants avec qui j’ai pu m’entretenir rejettent majoritairement cette qualification, préférant parler de « limitation thérapeutique » ou de « non-obstination déraisonnable ». Pourtant, la frontière entre ces concepts reste ténue dans un contexte de catastrophe sanitaire.

Lors de mes investigations, j’ai recueilli plusieurs témoignages troublants sur l’utilisation accrue de protocoles de sédation profonde pour des patients âgés atteints de COVID-19 sévère. Ces protocoles, normalement réservés aux situations de fin de vie pour éviter les souffrances, auraient été appliqués plus largement face à l’impossibilité d’offrir des soins curatifs à tous. « Nous n’avons pas abandonné ces patients, mais nous avons dû adapter notre prise en charge à la réalité des moyens disponibles », m’a expliqué un médecin gériatre d’un EHPAD parisien.

Les documents internes que j’ai pu consulter au sein de plusieurs institutions révèlent une augmentation significative des prescriptions anticipées de médicaments palliatifs durant les pics épidémiques. Dans certains établissements pour personnes âgées, des directives ont même été transmises pour limiter les transferts vers l’hôpital, conduisant à une gestion locale des situations de détresse respiratoire avec des moyens limités.

Cette réalité, peu médiatisée, pose la question de l’équité dans l’accès aux soins et du respect des principes fondamentaux de non-discrimination. Les choix opérés durant la crise ne peuvent être jugés sans prendre en compte le contexte extraordinaire, mais ils doivent nous interroger sur nos priorités collectives et sur la place accordée aux personnes vulnérables dans notre système de santé.

Vers un débat de société sur la valeur de la vie

La pandémie a agi comme un révélateur des tensions latentes dans notre approche de la fin de vie et de la place des personnes âgées. Le débat sur l’euthanasie, habituellement centré sur l’autonomie individuelle et le droit de choisir sa fin, s’est trouvé brutalement reconfiguré par les contraintes collectives imposées par la crise.

En analysant les prises de position des différentes instances éthiques nationales, j’observe un déplacement significatif des lignes. Le Comité consultatif national d’éthique français, d’abord silencieux sur ces questions durant la première vague, a finalement pris position pour rappeler l’importance de ne pas discriminer les patients sur le seul critère de l’âge. Mais ce rappel tardif montre bien que la tentation a existé.

Au-delà des considérations médicales immédiates, cette crise nous interroge sur les valeurs fondamentales de notre société. La tension entre utilitarisme (sauver extrêmement le plus grand nombre) et principe d’égale dignité de chaque vie humaine n’a jamais été aussi visible. Les choix faits dans l’urgence ne doivent pas devenir la norme, mais ils doivent nous inciter à mener une réflexion approfondie sur notre capacité collective à protéger les plus vulnérables.

En scrutant les archives des crises sanitaires passées, je constate que ces dilemmes ne sont pas nouveaux. Mais leur ampleur et leur visibilité dans la crise du COVID-19 nous imposent de sortir d’un certain silence complaisant sur ces questions fondamentales. La société que nous construirons après cette pandémie devra nécessairement intégrer ces réflexions éthiques pour éviter que les improvisations de la crise ne deviennent les standards de demain.

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