J’ai rencontré David Gattegno un matin d’automne dans un café parisien du VIe arrondissement, à deux pas des éditions où son ouvrage sur Robert Brasillach vient de paraître. Historien discret mais méticuleux, Gattegno a consacré plusieurs années à l’étude de cette figure controversée des lettres françaises. Notre entretien, prévu pour durer une heure, s’est prolongé bien au-delà, tant l’homme a su ranimer avec précision le portrait de cet écrivain fusillé à 35 ans à la Libération. Au fil de notre conversation, j’ai découvert un chercheur habité par son sujet, maniant archives et témoignages avec une rigueur qui force le respect.
La genèse d’une recherche sur Brasillach
« Ce qui m’a d’abord interpellé chez Brasillach, c’est l’apparent paradoxe entre la violence de certains de ses écrits et cette notion d’éternel jeune homme qui lui colle à la peau », m’explique David Gattegno en remuant son café. Après avoir consulté des archives rarement exploitées jusqu’alors, l’historien s’est plongé dans les correspondances privées de l’écrivain. « Les archives nous révèlent un homme plus complexe que ne le laissent entrevoir les analyses souvent manichéennes dont il fait l’objet. »
Ma formation en science politique m’incite naturellement à creuser le contexte institutionnel et politique de l’époque. Gattegno acquiesce : « C’est précisément ce qui manque souvent dans les travaux sur Brasillach – une mise en perspective rigoureuse du climat intellectuel de l’entre-deux-guerres. » L’historien a méthodiquement reconstitué l’itinéraire intellectuel et politique de l’écrivain, depuis ses années à l’École Normale Supérieure jusqu’à sa direction de Je Suis Partout, hebdomadaire qui deviendra tristement célèbre pendant l’Occupation.
Sa démarche m’évoque celle du chercheur qui refuse les raccourcis faciles. « J’ai passé des mois à consulter les archives de la préfecture de police, celles du ministère de la Justice et les témoignages de ses contemporains », précise-t-il. Ces sources primaires, trop souvent négligées au profit d’analyses idéologiques préconçues, permettent de comprendre comment un normalien brillant a pu basculer vers le collaborationnisme le plus radical. Gattegno insiste sur un point qui me paraît essentiel : « Étudier Brasillach, ce n’est ni l’absoudre ni l’accabler, mais comprendre un parcours dans sa complexité historique. »
La question de la responsabilité intellectuelle
« Peut-on séparer l’homme de l’œuvre ? » Cette question, je la pose frontalement à Gattegno, conscient qu’elle synthétise un débat toujours brûlant. Sa réponse est nuancée : « Dans le cas de Brasillach, la question se pose avec une acuité particulière puisque ses écrits politiques ont servi à justifier sa condamnation à mort. Le procès de 1945 était aussi, d’une certaine manière, celui de la responsabilité de l’écrivain. » L’historien m’explique avoir retrouvé des minutes de procès révélant des aspects méconnus des débats judiciaires qui ont conduit à la sentence capitale.
Lorsque j’évoque le fameux article sur « les petits de Pitchipoï » dans lequel Brasillach décrivait avec une froideur glaçante la déportation d’enfants juifs, Gattegno sort de sa serviette un dossier contenant la reproduction exacte de ces textes incriminés. « Ce sont ces mots précis qui ont pesé le plus lourd lors de son procès, plus encore que son engagement idéologique général. » En consultant ces documents, je mesure l’importance du travail méticuleux d’archivage que nécessite toute analyse sérieuse de cette période.
La question de l’antisémitisme de Brasillach est abordée sans détour. « Ce qui est frappant, c’est la constance de cet antisémitisme depuis ses premiers textes jusqu’aux derniers, même si les formes en varient », note Gattegno. Il me confie avoir eu accès à des correspondances inédites entre Brasillach et d’autres intellectuels de droite qui éclairent d’un jour nouveau cette dimension de sa pensée. Ces documents attestent d’une radicalisation progressive plutôt que d’un virage soudain, contredisant certaines interprétations simplistes du parcours de l’écrivain.
L’héritage ambigu d’un écrivain controversé
« Le cas Brasillach continue de diviser profondément, et c’est précisément ce qui en fait un objet d’étude passionnant pour l’historien », affirme Gattegno. La pétition pour sa grâce, signée par des figures aussi diverses que François Mauriac, Albert Camus ou Jean Cocteau, témoigne déjà des clivages que suscitait le sort de l’écrivain. « Certains plaidaient pour la séparation entre l’œuvre littéraire et les prises de position politiques, d’autres estimaient au contraire que cette séparation était impossible. »
Je m’interroge sur la postérité littéraire de Brasillach, au-delà de la controverse politique. « Son style était indéniablement remarquable », reconnaît Gattegno. « Des romans comme Comme le temps passe ou Les Sept Couleurs témoignent d’un véritable talent d’écrivain. » L’historien a analysé dans son livre l’influence considérable des classiques gréco-latins sur l’esthétique de Brasillach, dimension souvent négligée par la critique contemporaine.
Notre entretien s’achève sur la question des résonances contemporaines de cette affaire. « L’étude de Brasillach nous confronte à des questions toujours actuelles : les limites de la liberté d’expression, la responsabilité des intellectuels, le rôle de la presse en temps de crise. » Des problématiques qui, avec mon expérience de journaliste politique, me semblent fondamentales à l’heure où les médias et leur influence font l’objet d’un examen critique permanent. En refermant mon carnet, je remercie David Gattegno pour cette plongée érudite dans l’une des figures les plus troublantes de notre histoire intellectuelle récente.

Analyste politique rigoureux, Thomas décrypte les mécanismes du pouvoir et les décisions publiques avec clarté et esprit critique. Son credo : rendre lisible ce qui est volontairement complexe. Amateur de romans noirs et de débats de fond.