Cour Suprême : l’absence de stratégie démocrate face à la nomination d’Amy Barrett

La nomination d’Amy Coney Barrett à la Cour Suprême des États-Unis restera comme l’un des moments les plus révélateurs des déséquilibres institutionnels américains. J’ai suivi cette séquence politique majeure de l’automne 2020 avec une attention particulière, tant elle illustrait les faiblesses structurelles du camp démocrate face à la détermination républicaine. Les auditions qui se sont tenues au Sénat américain ont mis en lumière l’absence criante de stratégie cohérente chez les démocrates pour contrer cette nomination éclair.

La précipitation républicaine face à l’impuissance démocrate

Dès l’annonce du décès de Ruth Bader Ginsburg, figure emblématique de la Cour et icône progressiste, le 18 septembre 2020, je savais que nous assistions à un moment charnière. Le président Trump et le leader de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, ont immédiatement enclenché le processus de remplacement, balayant leur propre jurisprudence politique établie en 2016 lorsqu’ils avaient refusé d’examiner la nomination de Merrick Garland par Barack Obama à neuf mois de l’élection présidentielle.

Cette fois, à seulement 46 jours du scrutin, la machine républicaine s’est mise en branle avec une efficacité redoutable. Face à cette offensive, j’ai observé la réaction démocrate, fragmentée et sans ligne directrice claire. Chuck Schumer, leader de la minorité démocrate au Sénat, a bien tenté de mobiliser l’opinion publique en évoquant les risques pesant sur l’Affordable Care Act (Obamacare) et le droit à l’avortement, mais sans parvenir à transformer cette inquiétude en levier politique efficace.

Mes sources au Capitole m’ont confirmé l’existence de débats internes houleux au sein du groupe démocrate. Certains sénateurs plaidaient pour une confrontation directe, d’autres pour une stratégie d’obstruction procédurale, mais aucune approche commune n’a véritablement émergé. L’arithmétique sénatoriale rendait certes la tâche difficile — avec 53 sénateurs républicains contre 47 démocrates ou indépendants — mais l’absence de cohésion stratégique a aggravé cette faiblesse numérique.

Pour comprendre cette dynamique, il faut rappeler que le contrôle de la Cour Suprême représente un objectif fondamental pour le mouvement conservateur américain depuis des décennies. Les démocrates, eux, n’ont jamais accordé la même importance stratégique à cette institution, ce qui explique en partie leur manque de préparation face à cette situation pourtant prévisible.

Des auditions révélatrices d’un déséquilibre stratégique

J’ai analysé minute par minute les quatre jours d’audition de Barrett devant la commission judiciaire du Sénat. Ce qui m’a frappé, au-delà du contenu même des échanges, c’est la disparité d’approche entre les deux camps. Les sénateurs républicains avaient une feuille de route claire : mettre en avant les qualifications académiques incontestables de Barrett tout en évitant soigneusement les sujets sensibles comme l’avortement ou la loi sur la santé.

Les démocrates, eux, oscillaient entre plusieurs stratégies contradictoires. Certains, comme la sénatrice Kamala Harris, alors candidate à la vice-présidence, ont tenté de transformer ces auditions en tribune électorale en insistant sur les menaces pesant sur l’Affordable Care Act. D’autres, comme Amy Klobuchar, ont cherché à pousser Barrett dans ses retranchements sur des questions constitutionnelles techniques. Cette cacophonie démocrate contrastait avec l’unité de message républicaine.

Ayant couvert plusieurs processus de nomination à la Cour Suprême, je peux affirmer que rarement un candidat n’aura été aussi bien préparé que Barrett. Professeure de droit reconnue, ancienne greffière du juge Scalia, elle maîtrisait parfaitement l’exercice, refusant systématiquement de se prononcer sur des cas hypothétiques tout en affirmant son attachement au précédent judiciaire — une position standard mais qui sonnait paradoxale pour une juriste connue pour ses critiques de l’arrêt Roe v. Wade.

Les démocrates semblaient prisonniers d’un dilemme : s’opposer frontalement risquait de mobiliser l’électorat conservateur à quelques semaines du scrutin présidentiel, mais accepter passivement cette nomination signifiait abandonner le contrôle de la Cour pour probablement plusieurs décennies. Cette tension stratégique paralysante explique en grande partie leur incapacité à articuler une opposition efficace.

Les conséquences institutionnelles d’un rapport de force asymétrique

La confirmation d’Amy Coney Barrett le 26 octobre 2020, par un vote de 52 voix contre 48, a scellé la transformation de la Cour Suprême avec une majorité conservatrice solide de six juges contre trois progressistes. Au-delà du bilan politique immédiat, cette séquence a mis en lumière des dysfonctionnements profonds dans l’équilibre des pouvoirs américains.

Dans mes entretiens avec plusieurs constitutionnalistes, j’ai constaté une inquiétude croissante concernant la politisation extrême du processus de nomination. Historiquement, les juges à la Cour Suprême étaient souvent confirmés avec des majorités bipartisanes confortables. Cette époque semble révolue. La confirmation de Barrett, comme celle de Brett Kavanaugh avant elle, s’est faite sur des lignes strictement partisanes.

Ce que cette nomination a révélé, c’est aussi l’inadéquation des outils institutionnels démocrates face à une stratégie républicaine de long terme concernant le pouvoir judiciaire. Depuis l’ère Reagan, les juristes conservateurs ont méthodiquement construit un vivier de candidats potentiels, notamment via la Federalist Society, tandis que les démocrates n’ont jamais développé d’infrastructure comparable.

Cette asymétrie stratégique explique pourquoi, malgré avoir remporté le vote populaire dans six des huit dernières élections présidentielles, les démocrates se retrouvent aujourd’hui minoritaires dans la plus haute juridiction du pays, avec des conséquences majeures sur les droits civiques, la régulation économique et l’équilibre des pouvoirs.

Retour en haut