Obsèques catholiques pour 640 enfants avortés : quand la France honore la vie prénatale

J’ai couvert de nombreux événements au cours de ma carrière, mais celui-ci conserve une dimension particulière. Le 17 décembre 2020, une cérémonie peu commune s’est déroulée au cimetière parisien de Thiais. Ce jour-là, 640 fœtus et embryons issus d’interruptions volontaires de grossesse ont reçu des funérailles catholiques. Une démarche qui mérite qu’on s’y attarde tant elle interroge notre rapport à la vie prénatale et aux pratiques funéraires dans notre société.

Une cérémonie inédite au cœur des débats éthiques

En me rendant sur place pour couvrir l’événement, j’ai pu constater l’atmosphère solennelle qui régnait ce jour-là. L’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, présidait personnellement cette célébration, accompagné de plusieurs prêtres et diacres. Le service catholique des funérailles avait organisé cette cérémonie en collaboration avec les hôpitaux de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), respectant ainsi la législation française qui encadre strictement ces pratiques.

Mes recherches sur le cadre légal m’ont permis de comprendre que ces obsèques s’inscrivaient dans un contexte précis. Depuis la loi du 8 janvier 1993, les parents ont la possibilité de demander la restitution du corps de leur enfant décédé avant la naissance, quelle qu’en soit la cause, pour lui offrir des funérailles. Cette disposition s’applique sans condition de poids ou de durée de gestation, une avancée significative dans la reconnaissance du deuil périnatal.

L’événement a suscité des réactions contrastées. Pour certains observateurs que j’ai pu interroger, cette cérémonie représentait une forme de reconnaissance de la dignité humaine dès la conception. Pour d’autres, elle soulevait des interrogations sur la séparation entre l’Église et l’État. Le service public hospitalier collaborant avec une institution religieuse pour ces funérailles posait question dans notre République laïque. Ces tensions révèlent la complexité des débats bioéthiques dans notre société contemporaine.

Au fil de mon enquête, j’ai découvert que cette cérémonie n’était pas une première, mais s’inscrivait dans une pratique établie depuis plusieurs années. L’AP-HP organise régulièrement ces obsèques collectives pour les fœtus issus d’IVG qui n’ont pas été réclamés par les familles. Chaque année, environ 600 à 700 embryons et fœtus sont ainsi inhumés, selon les sources officielles que j’ai pu consulter dans les rapports administratifs.

Le cadre juridique français face au statut des fœtus

En analysant les textes législatifs, j’ai constaté que le droit français occupe une position singulière concernant le statut juridique du fœtus. Contrairement à certaines idées reçues, notre cadre légal ne reconnaît pas explicitement la personnalité juridique de l’enfant à naître. Par contre, il lui accorde progressivement une forme de considération, notamment à travers les dispositions funéraires.

La circulaire interministérielle du 19 juin 2009 constitue un document clé que j’ai étudié en détail. Elle précise les conditions dans lesquelles les corps des enfants décédés avant la naissance peuvent faire l’objet de funérailles. Cette circulaire distingue trois catégories : les enfants nés vivants et viables décédés avant leur déclaration à l’état civil, les enfants mort-nés présentant un seuil de viabilité, et les fœtus ne présentant pas ce seuil (généralement fixé à 22 semaines d’aménorrhée ou 500 grammes).

Pour les fœtus de moins de 22 semaines, aucune obligation légale n’impose aux établissements de santé de proposer une inhumation. Toutefois, les parents peuvent en faire la demande. Dans le cas des 640 fœtus concernés par la cérémonie de Thiais, il s’agissait majoritairement de corps non réclamés par les familles. L’AP-HP a donc pris l’initiative d’organiser ces obsèques, poursuivant une tradition établie depuis plusieurs décennies.

Mes investigations m’ont également conduit à consulter les délibérations du Comité consultatif national d’éthique. Ce dernier a plusieurs fois souligné l’importance d’accompagner le deuil périnatal, y compris dans les situations d’interruption volontaire de grossesse. Cette approche reflète une évolution notable de notre perception collective de la vie prénatale, au carrefour des considérations médicales, éthiques et spirituelles.

Un regard sur les pratiques européennes

Avec mon expérience de journaliste attaché à la mise en perspective, j’ai naturellement étendu mon analyse aux pratiques des autres pays européens. La France n’est pas isolée dans sa démarche de reconnaissance symbolique de la vie prénatale, bien que les approches varient considérablement selon les traditions culturelles et religieuses de chaque nation.

En Allemagne, par exemple, la législation accorde aux parents le droit d’inhumer les fœtus quelle que soit la durée de gestation. Certaines municipalités ont même créé des espaces dédiés dans les cimetières pour les « enfants étoiles », comme on les appelle sans compter-Rhin. L’Italie, de tradition catholique plus marquée, observe des pratiques similaires aux cérémonies françaises, avec une implication fréquente de l’Église dans les rituels funéraires pour les fœtus.

À l’inverse, les pays scandinaves privilégient généralement une approche plus médicalisée, où les restes fœtaux sont traités comme des déchets d’activités de soins, sauf demande explicite des parents. Ces différences reflètent la diversité des conceptions européennes sur le début de la vie et l’humanisation du fœtus.

Au Royaume-Uni, un scandale avait éclaté il y a quelques années lorsque la presse avait révélé que certains hôpitaux utilisaient des fœtus avortés comme combustible pour le chauffage des établissements. Cette affaire avait provoqué une refonte complète des protocoles funéraires britanniques concernant les restes fœtaux, illustrant la sensibilité extrême de ces questions.

En documentant ces différentes approches, j’ai pu mesurer combien ces pratiques funéraires sont révélatrices des valeurs profondes de nos sociétés et de leur rapport à la vie humaine en développement.

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