Adhésion de la Turquie à l’UE : analyse des négociations et perspectives actuelles

Les relations entre la Turquie et l’Union européenne traversent une période complexe depuis plusieurs décennies. Le processus d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne a connu de nombreux rebondissements depuis la demande officielle turque en 1987. Cet article analyse les négociations, les obstacles et les perspectives actuelles concernant cette candidature qui suscite des débats passionnés tant au sein des institutions européennes que dans l’opinion publique.

Historique des négociations entre la Turquie et l’Union européenne

Les premières démarches de rapprochement entre la Turquie et ce qui allait devenir l’Union européenne remontent à 1963 avec la signature de l’accord d’association d’Ankara. Ce texte fondateur reconnaissait déjà la vocation européenne de la Turquie et envisageait la possibilité d’une adhésion future. Néanmoins, ce n’est qu’en 1987 que la Turquie a formellement déposé sa candidature à la Communauté économique européenne.

Le véritable tournant s’est produit en décembre 1999 lors du sommet d’Helsinki, où la Turquie a obtenu le statut officiel de pays candidat à l’adhésion. Cette reconnaissance a marqué une étape cruciale dans le processus d’intégration européenne du pays. Les réformes engagées par le gouvernement turc ont ensuite conduit à l’ouverture formelle des négociations d’adhésion le 3 octobre 2005, sous la présidence britannique de l’UE.

Néanmoins, les progrès ont rapidement ralenti. Sur les 35 chapitres de négociation, seuls 16 ont été ouverts et un seul provisoirement clôturé en près de vingt ans. Cette lenteur s’explique par plusieurs facteurs, notamment la question chypriote non résolue et le refus de la Turquie d’appliquer le protocole d’Ankara qui l’obligerait à ouvrir ses ports et aéroports aux navires et avions chypriotes. En décembre 2006, l’UE a d’ailleurs gelé huit chapitres de négociation en raison de ce blocage.

Les relations se sont considérablement détériorées après la tentative de coup d’État de juillet 2016 en Turquie. La répression qui a suivi, marquée par des purges massives, des arrestations de journalistes et des restrictions des libertés fondamentales, a suscité de vives inquiétudes à Bruxelles. En novembre 2016, le Parlement européen a adopté une résolution non contraignante demandant le gel temporaire des négociations d’adhésion, illustrant la dégradation des rapports bilatéraux.

Les obstacles majeurs à l’intégration turque dans l’UE

Plusieurs obstacles structurels freinent l’avancement des négociations d’adhésion. Le respect des critères de Copenhague, conditions préalables à toute adhésion, reste problématique pour la Turquie. Ces critères exigent notamment des institutions stables garantissant la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et le respect des minorités. Or, les rapports successifs de la Commission européenne pointent des reculs significatifs dans ces domaines.

L’évolution politique intérieure turque sous la présidence de Recep Tayyip Erdoğan suscite des inquiétudes croissantes. La réforme constitutionnelle de 2017 instaurant un régime présidentiel, les atteintes à l’indépendance de la justice et les restrictions à la liberté de la presse sont perçues comme incompatibles avec les valeurs européennes. La répression contre les manifestations de Gezi Park en 2013 puis les mesures prises après la tentative de coup d’État de 2016 ont accentué cette divergence.

La question chypriote demeure un obstacle majeur. Depuis l’intervention militaire turque de 1974, l’île reste divisée malgré plusieurs tentatives de réunification. La non-reconnaissance de la République de Chypre par la Turquie, alors que Chypre est membre de l’UE depuis 2004, crée une situation diplomatique inextricable qui bloque mécaniquement le processus d’adhésion.

Des réticences culturelles et identitaires existent également au sein de certains États membres. Des responsables politiques européens, notamment en France et en Allemagne, ont exprimé des doutes sur la compatibilité culturelle de la Turquie avec le projet européen. La question démographique joue aussi un rôle : avec près de 85 millions d’habitants, la Turquie deviendrait le pays le plus peuplé de l’UE, modifiant considérablement les équilibres institutionnels actuels.

Vers un partenariat stratégique renouvelé

Face à l’enlisement des négociations d’adhésion, de nouvelles pistes émergent pour redéfinir les relations entre l’UE et la Turquie. L’idée d’un partenariat privilégié, alternative à l’adhésion pleine et entière, gagne du terrain dans les chancelleries européennes. Ce concept, soutenu notamment par l’Allemagne et la France, permettrait d’approfondir les relations économiques et sécuritaires sans intégration politique complète.

La coopération en matière migratoire illustre cette approche pragmatique. L’accord UE-Turquie de mars 2016 sur la gestion des flux migratoires, malgré ses controverses, a démontré l’interdépendance entre les deux parties. En échange d’une aide financière substantielle et de promesses de libéralisation des visas, la Turquie s’est engagée à limiter les traversées irrégulières vers les îles grecques.

Les enjeux économiques plaident également pour un maintien des liens étroits. L’Union européenne reste le premier partenaire commercial de la Turquie, représentant environ 40% de ses échanges extérieurs. L’union douanière établie en 1995 pourrait être modernisée et approfondie, offrant de nouvelles opportunités aux entreprises des deux côtés. En revanche, les négociations sur cette modernisation restent conditionnées aux progrès démocratiques.

Dans un contexte géopolitique instable, la dimension stratégique et sécuritaire des relations euro-turques prend une importance renouvelée. Membre de l’OTAN depuis 1952, la Turquie occupe une position géographique cruciale entre Europe, Moyen-Orient et Caucase. Sa coopération reste indispensable sur des dossiers comme la lutte contre le terrorisme, la stabilisation régionale ou la sécurité énergétique, ce qui incite les deux parties à maintenir un dialogue constructif malgré leurs divergences.

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