Face à des manquements persistants aux règles communautaires, l’Union européenne a récemment durci le ton contre cinq de ses États membres. Cette action s’inscrit dans une démarche plus large visant à garantir l’harmonisation et le respect des directives européennes au sein de tous les pays de l’Union. Les procédures d’infraction engagées témoignent de la volonté des instances européennes de faire appliquer scrupuleusement le droit communautaire, pilier fondamental de la construction européenne.
Les procédures d’infraction lancées par Bruxelles
En février 2021, la Commission européenne a franchi une étape significative en mettant en demeure cinq États membres pour non-respect de différentes réglementations communautaires. Cette démarche s’inscrit dans le cadre des pouvoirs conférés à l’exécutif européen par les traités, lui permettant d’agir comme gardien des traités. Les pays concernés – la Pologne, la Hongrie, l’Italie, la Grèce et la République tchèque – se voient reprocher des infractions diverses touchant à plusieurs domaines essentiels du droit européen.
La procédure d’infraction constitue un mécanisme juridique graduel permettant à la Commission d’exercer une pression croissante sur les États récalcitrants. Elle débute systématiquement par l’envoi d’une lettre de mise en demeure qui expose les griefs retenus contre l’État membre. Ce dernier dispose généralement d’un délai de deux mois pour se mettre en conformité ou fournir des explications satisfaisantes.
Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, a rappelé que « le respect du droit communautaire n’est pas optionnel mais constitue une obligation fondamentale découlant de l’adhésion à l’Union ». Cette position ferme traduit la détermination de Bruxelles à faire respecter les principes fondamentaux du projet européen, notamment l’État de droit et la primauté du droit communautaire sur les législations nationales.
Si les réponses apportées par les États mis en cause ne satisfont pas la Commission, celle-ci peut émettre un avis motivé, seconde étape de la procédure. En dernier recours, l’affaire peut être portée devant la Cour de justice de l’Union européenne, avec à la clé de possibles sanctions financières pour les États condamnés.
Les domaines de non-conformité au cœur des tensions
Les manquements reprochés aux cinq pays membres concernent différents secteurs stratégiques de la législation européenne. La Pologne et la Hongrie font face à des griefs liés principalement à des atteintes présumées à l’indépendance de la justice et au respect des valeurs démocratiques. Ces deux pays sont particulièrement dans le collimateur de Bruxelles depuis plusieurs années pour leurs réformes judiciaires controversées.
L’Italie se voit notamment reprocher des retards dans la transposition de directives environnementales, notamment celles concernant la qualité de l’air et le traitement des déchets. Le pays fait l’objet d’une surveillance accrue depuis plusieurs années en raison de problématiques récurrentes dans ces domaines.
La Grèce est principalement mise en cause pour des questions liées à la gestion des frontières et au traitement des demandeurs d’asile, un sujet particulièrement sensible pour ce pays en première ligne face aux flux migratoires. Enfin, la République tchèque fait l’objet de critiques concernant sa politique énergétique et certains aspects de sa législation sur les marchés publics.
Didier Reynders, commissaire européen à la Justice, a souligné que « ces procédures ne visent pas à punir mais à assurer que tous les citoyens européens bénéficient des mêmes droits et du même niveau de protection, quel que soit leur pays de résidence ». Cette vision rappelle que l’harmonisation des législations nationales constitue l’un des fondements du marché unique et de l’espace de liberté, de sécurité et de justice que l’UE ambitionne de construire.
Les réactions contrastées des États concernés
Face aux procédures lancées par Bruxelles, les réactions des gouvernements mis en cause se révèlent très disparates. La Pologne et la Hongrie, dirigées par des gouvernements nationalistes, ont adopté une posture de défiance. Viktor Orbán, Premier ministre hongrois, a notamment dénoncé « une ingérence inacceptable dans les affaires intérieures d’un État souverain » et a appelé à une redéfinition des compétences entre l’Union et ses membres.
Le gouvernement polonais, par la voix de son ministre de la Justice Zbigniew Ziobro, a également contesté la légitimité de la démarche européenne, affirmant que « les réformes judiciaires relèvent de la compétence exclusive des États ». Cette position reflète une vision restrictive de l’intégration européenne défendue par le parti Droit et Justice (PiS) au pouvoir à Varsovie.
L’Italie et la Grèce ont adopté une approche plus conciliante, reconnaissant certains retards dans la mise en œuvre des directives tout en soulignant les difficultés spécifiques auxquelles ces pays font face. Le ministre italien de l’Environnement s’est engagé à « accélérer les réformes nécessaires pour se conformer pleinement aux exigences européennes ».
La République tchèque a quant à elle opté pour une stratégie de négociation, proposant un calendrier précis de mise en conformité tout en demandant certains aménagements. Cette diversité d’approches témoigne des tensions croissantes au sein de l’Union concernant l’équilibre entre souveraineté nationale et intégration européenne.
Les enjeux futurs pour la cohésion européenne
Ces procédures d’infraction illustrent les défis auxquels l’Union européenne est confrontée pour maintenir sa cohésion interne. Le respect des règles communes constitue la pierre angulaire du projet européen, mais l’équilibre entre harmonisation et respect des spécificités nationales demeure délicat à trouver.
L’émergence d’une fracture entre l’Est et l’Ouest de l’Europe sur certaines questions fondamentales, notamment l’État de droit, représente un défi majeur pour les institutions européennes. Le mécanisme de conditionnalité liant le versement des fonds européens au respect de l’État de droit, adopté en 2020, constitue une nouvelle arme dans l’arsenal de Bruxelles.
Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne, a rappelé que « l’Union n’est pas seulement un marché commun mais une communauté de valeurs que tous les États membres se sont engagés à respecter ». Cette vision politique de l’intégration européenne se heurte parfois à des conceptions plus utilitaristes de certains gouvernements.
À l’heure où l’Europe fait face à des défis sans précédent – pandémie, changement climatique, tensions géopolitiques – la capacité des Vingt-Sept à parler d’une seule voix apparaît plus cruciale que jamais. Les procédures d’infraction, bien que techniques en apparence, touchent ainsi au cœur même du projet européen et à sa pérennité.

Leïla explore les mouvements culturels, les idées émergentes et les voix alternatives. Entre entretiens, chroniques et reportages, elle met en lumière celles et ceux qui réinventent notre façon de penser, créer, vivre. Elle aime les marges, les livres, et les cafés bondés.