Je mène depuis plusieurs mois une enquête approfondie sur les mouvements financiers des élites russes. L’affaire qui m’occupe aujourd’hui concerne particulièrement les hauts dirigeants de Gazprombank, institution financière centrale dans l’écosystème économique russe. Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, plusieurs oligarques proches du régime ont discrètement liquidé leurs avoirs français. Ces transactions s’inscrivent dans un contexte troublant de décès suspects touchant le secteur énergétique russe, notamment parmi les cadres de Gazprombank.
Le patrimoine immobilier français des dirigeants de Gazprombank
Andrey Akimov, à la tête de Gazprombank, possédait jusqu’à récemment un empire immobilier impressionnant sur le territoire français. Mon investigation révèle qu’il détenait plusieurs villas de prestige sur la Côte d’Azur, des propriétés en Haute-Savoie et à Saint-Barthélemy, pour une valeur totale dépassant 20 millions d’euros. Ces biens luxueux, acquis durant les années fastes du régime poutinien, ont fait l’objet d’une vente accélérée depuis le début du conflit ukrainien. J’ai découvert que plusieurs transactions ont été réalisées au profit de personnes liées directement à l’industrie gazière russe ou à l’entourage d’Akimov.
Cette stratégie de désengagement immobilier n’est pas anodine. Elle permet aux oligarques de transformer rapidement leurs actifs en liquidités avant que les autorités européennes ne puissent les geler. Fait notable, contrairement à de nombreux hommes d’affaires russes, Akimov a longtemps échappé aux sanctions occidentales les plus sévères, l’Europe ne pouvant se passer de sa banque pour régler ses approvisionnements en gaz russe.
Vladislav Avaev : mort suspecte d’un vice-président de Gazprombank
L’affaire Vladislav Avaev constitue l’un des épisodes les plus troublants de cette série noire. Ce vice-président de Gazprombank, âgé de 51 ans, a été retrouvé mort le 19 avril 2022 dans son luxueux penthouse moscovite, aux côtés des corps de son épouse Yelena (47 ans) et de leur fille Maria (13 ans). Tous présentaient des blessures par balle caractéristiques, dans un appartement verrouillé de l’intérieur. Les autorités russes ont rapidement conclu à un drame familial motivé par la jalousie, évoquant une supposée grossesse de son épouse avec un autre homme.
Igor Volobuev, lui-même vice-président de l’institution bancaire, conteste formellement cette version. Selon les informations qu’il m’a confiées, le prétendu suicide aurait été « mis en scène » et Avaev occupait toujours ses fonctions au sein de la banque. Sa position stratégique lui donnait accès aux comptes de nombreux oligarques et proches de Vladimir Poutine. Ancien directeur adjoint d’un département clé du Kremlin, il détenait potentiellement des informations compromettantes sur les flux financiers de l’élite russe.
La vague inquiétante de décès mystérieux dans le secteur énergétique russe
Mes recherches m’ont permis d’établir une chronologie des morts suspectes frappant l’industrie énergétique russe depuis début 2022 :
- Leonid Shulman, directeur des transports de Gazprom Invest, retrouvé mort le 30 janvier 2022 avec une lettre de suicide
- Alexander Tyulyakov, directeur financier de Gazprom, retrouvé pendu dans son garage le lendemain même de l’invasion ukrainienne
D’autres disparitions troublantes ont suivi : Sergey Protosenya (Novatek), Yuri Voronov (partenaire de Gazprom), Alexander Subbotin et Ravil Maganov (Lukoil). Ces décès présentent systématiquement des caractéristiques communes : mise en scène soignée, version officielle rapidement établie, absence d’enquête approfondie. Tous ces hommes partageaient un accès privilégié à des informations sensibles sur les flux financiers du régime et les contournements de sanctions.
Gazprombank : instrument stratégique du Kremlin face aux sanctions occidentales
Gazprombank n’est pas une banque ordinaire. Cette institution financière constitue l’épine dorsale du système énergétique russe, gérant les paiements des acheteurs européens de gaz. Depuis l’invasion de l’Ukraine, elle s’est transformée en outil de riposte économique pour le Kremlin. Vladimir Poutine l’a mobilisée dans sa stratégie d’obligation de paiement en roubles, provoquant une crise majeure lorsque Gazprom a coupé ses livraisons à la Pologne et la Bulgarie.
Le 24 février 2022, jour du déclenchement des hostilités, Poutine convoquait une quarantaine d’oligarques au Kremlin, dont Akimov, pour exiger leur « solidarité » face aux sanctions occidentales. Cette banque, détenant indirectement 90% des ressources énergétiques russes et le monopole de leur exportation, représente une arme économique puissante contre l’Europe, expliquant pourquoi certains de ses dirigeants ont longtemps échappé aux mesures restrictives.
Les stratégies financières de contournement
Mes sources confirment que Gazprombank a développé des mécanismes sophistiqués pour aider les oligarques à préserver leurs fortunes, notamment via des réseaux d’intermédiaires et sociétés-écrans dans des juridictions complaisantes. Ces stratagèmes permettent de dissimuler l’origine des fonds et l’identité des véritables propriétaires.
La fuite des cadres russes : entre défection et survie
- Igor Volobuev, vice-président de Gazprombank d’origine ukrainienne, qui a quitté la Russie le 2 mars 2022
- Andreï Panov, ex-directeur adjoint d’Aeroflot, Elena Bunina de Yandex, et plusieurs autres cadres supérieurs
Le cas d’Igor Volobuev illustre parfaitement le dilemme moral auquel font face certains cadres russes. Après 23 ans de loyaux services chez Gazprom, cet Ukrainien de naissance a fui vers son pays d’origine via Istanbul. Il décrit sa démarche comme une « pénitence » pour « se laver de son passé russe ». Ces défections fragilisent le régime de Poutine qui voit s’éroder son cercle de confiance.
J’ai également documenté le départ d’Anatoli Tchoubaïs, ancien vice-premier ministre et conseiller de Poutine, vers la Turquie. Ces fuites témoignent de la méfiance croissante du président russe envers son élite économique, particulièrement ceux possédant des propriétés à l’étranger. Cette suspicion explique l’empressement des oligarques à liquider discrètement leurs villas françaises, anticipant une possible traque de leurs avoirs par le Kremlin lui-même.

Analyste politique rigoureux, Thomas décrypte les mécanismes du pouvoir et les décisions publiques avec clarté et esprit critique. Son credo : rendre lisible ce qui est volontairement complexe. Amateur de romans noirs et de débats de fond.